Revenons sur le traité de Verdun
Si comme tout le monde j'ai commencé Céline par voyage au bout de la nuit, ce qui m'a vite attiré c'était son côté plus sulfureux, je voulais voir à quoi ressemblait de la véritable subversion, pas la petite subversion calibrée, quelque chose qui dit des choses que l'on ne peut pas dire.
Je ne vais bien évidemment pas juger ou non la véracité de ce qu'il raconte, je ne suis pas historien et je m'en fous totalement à vrai dire, mais cela ne va pas m'empêcher de faire l'éloge de ce livre que j'ai adoré tout comme j'ai adoré Bagatelle pour un Massacre ou les beaux draps.
L'école des cadavres est encore plus judéocentrée que les deux pamphlets précédents, c'est trois cents pages où il va expliquer sa haine du juif et conclure (je vais commencer par là) qu'il veut une alliance avec l'Allemagne (dirigée par Hitler à l'époque).
Céline met le traité de Verdun à l'origine de toutes les querelles en Europe, pour lui tout par de là, la France et l'Allemagne (oui je sais Lotharingie, Francie occidentale et orientale) sont en perpétuels conflits ce qui permet à l'Angleterre de tirer son épingle du jeu. Quelque part il rêve de ce que nous rêvons tous, une Europe forte (pas l'Union Européenne que l'on a maintenant). Bon après il continue en disant que les Français ne sont pas un peuple latin, mais germanique et celte. (Tout ceci parle au joueur de Crusader King II que je suis.)
Et si je pars de sa conclusion il y a une raison, c'est que tout ce qu'il dit avant s'expliquer à partir de là, il ne fait pas que balancer ce que certains appelleront sans doute à juste titre des atrocités sur les juifs, ça a un sens, il a un projet de civilisation et pour lui le juif est l'obstacle à ce projet.
Mais ce projet de revenir avant le traité de Verdun n'est pas la chose qui me fait adorer ce livre, il faut être honnête, ce qui est génial c'est cette haine pure, cette façon avec laquelle Céline se tient debout contre vents et marées, comment il répond à ce que lui écrit un juif en début de livre sur Bagatelle pour un massacre. Céline ne fait pas dans la demi-mesure et finalement il m'importe peu que ce qu'il raconte soit vrai ou non, car il me permet d'avoir une idée du climat, des tensions à la veille de la seconde guerre mondiale, de savoir ce que l'on reprochait aux juifs et ceci venant de la part de quelqu'un qui ne les aimait pas.
Attention Céline n'est pas Hitlérien pour autant, il dit clairement qu'il emmerdera tout le monde : juifs, francs-maçons, et Hitler si celui-ci vient l'emmerder (sic).
Il faut faire attention au vocabulaire utilisé qui est absolument génial, clair, vulgaire, précis, cinglant. Céline ne fait aucune concession tant dans le fond que la forme.
Il va même jusqu'à reprocher à certains antisémites italiens de faire la différence entre bons juifs et mauvais juifs et tente une comparaison avec les microbes de Pasteur qui disait qu'il fallait stériliser en faisant bouillir 20 min les instruments et pas seulement trois minutes pour qu'ils soient tous morts.
Radical.
Bien entendu si on lit ça actuellement on peut être choqué et même si je ne l'ai pas été (j'ai lu les 120 journées de Sodome et à côté de la masturbation et éjaculation sur une femme qui accouche c'est rien du tout) c'est ça qui est bon, c'est que l'on sort de l'univers aseptisé dans lequel on vit (ce que Nietzsche appellerait sans doute le socialisme qui veut ôter toute peine et qui ôte par conséquent toute joie en même temps) et on en prend plein la gueule, c'est extrêmement violent et cette violence c'est une bouffée d'air frais, surtout que c'est magnifiquement bien écrit. Mais ce n'est pas n'importe quelle bouffée d'air frais, c'est la première que l'on prend après un grave accident, on est tout chancelant, on a du mal à calmer sa respiration et on inspire un grand coup, ça fait autant de mal que ça fait de bien, mais quelque part ça soulage. Il soulage parce qu'après avoir lu ça, on a vu les limites, c'est presque métaphysique, peut importe ce que l'on fait on n'ira jamais plus loin pas parce que la société nous l'interdit, mais parce qu'il serait impossible de le conceptualiser. Et ça c'est sublime. Il est juste évident que la plume de Céline fait beaucoup, quelqu'un d'autre écrirait la même chose sans avoir le centième de son talent ça serait juste bête et nauséabond.
Mais Céline a cette plume qui nous met directement en empathie avec lui même si on a envie de la haïr, il semble si proche (tout en étant pourtant incessible).
Et qu'est ce qu'il en reste ? Un putain de livre. Rien de plus, rien de moi. Quelque chose qui dit des choses, qui défends de manière radicale des idées (même si elles ne sont pas acceptées (ni à l'époque ni maintenant), tant pis). Ce qui compte c'est que la haine puisse finalement être si belle.
Après tant pis si les gens détestent et sont révulsés par cette haine (ce qui est compréhensible vu les idées développées et les événements ultérieurs au livre qui ont fait que Céline s'en soit voulu par la suite (en même temps qui ne s'en voudrait pas)), ça reste grandiose et ça ne laissera personne indifférent.
Je pense que c'est le genre de livre qu'il faut lire juste pour savoir jusqu'à quel point on peut aller dans la haine sans concession et ceci venant d'un type persuadé d'être dans le droit chemin, qui ne se laisse pas faire, tout comme il faut lire les 120 journées de Sodome pour voir jusqu'où on peut aller dans la perversité, dans tout ce qui est répréhensible par la loi et moralement (et pénalement) condamnable. Ceci ne veut pas dire qu'il faut mettre en pratique ce qui est marqué dans ces livres (et heureusement, on n'oserait plus sortir de chez soi), mais savoir que ça existe, savoir que l'on peut aller aussi loin dans la pensée tout en tenant un raisonnement autour ça change un homme.
Quelque part on peut être rassuré après l'avoir lu en se disant que jamais on ne pourra haïr comme lui et que du coup la vie c'est pas si mal.