Un père renommé pour son engagement à gauche et pour ses talents littéraires (le superbe L'établi), une mère belle à tomber, et qui tombe justement des mecs à la pelle. Un père absent car psychiquement malade, une mère pas très nette dans son rapport à sa fille, entre concurrence et abandon. Pas étonnant que la fille ait eu un parcours chaotique, tombant amoureuse d'un ex amant de sa mère, puis d'un brillant avocat qui la laissera tomber dès qu'il sera question d'enfants. Tombée enceinte de jumeaux, l'autrice perdra le garçon mais gardera la fille. Cet Effet maternel ferait sans doute le miel d'un psychanalyste.

Fait-il le bonheur du lecteur ? Pas vraiment. La raison tient en un mot : le style, cette chose essentielle qui fait défaut à Virginie Linhart. Qu'elle soit excellente journaliste, réalisatrice de documentaire, c'est bien possible, je ne saurai en juger. Mais écrivaine ? Son récit tient à mes yeux davantage du journal intime que de l'objet littéraire. On le ressent avec une acuité particulière lorsqu'elle donne du papa ou du maman, allant même jusqu'à s'adresser à eux. Page 119 :

Je te remercie papa d'avoir tenu bon et d'être encore là en dépit des abîmes dans lesquels tu te noies parfois.

Lorsqu'elle ne se répand pas sur ses parents, l'autrice nous raconte ses nombreuses et tumultueuses amours et ses vacances dans une fabuleuse maison sise sur une île. Faut-il vraiment partager ce genre de choses ? Poser la question, c'est déjà y répondre. Virginie Linhart, elle, est certaine que oui. Page 213 :

Même si pour la première fois je n'ai pas eu recours au procédé littéraire que j'affectionne - celui de l'enquête, du recueil d'expériences plurielles au sein desquelles je trouve la place pour faire entendre ma voix -, il y a de l'universel, j'en suis certaine, dans mon cheminement.

Quelques belles choses surnagent tout de même.

- L'histoire du bébé survivant qui tourne la tête du côté de son frère mort et ne boit que la moitié de son biberon. Une fois qu'on lui dit les choses, il prend son biberon en entier.

- La malédiction qui pèse sur les descendants de la Shoah. Volonté de s'assimiler, de ne pas faire de vague, dont hérite l'écrivaine. Page 175 :

Etre aimé, être heureux, être à l'aise financièrement, réussir sa vie, autant de marqueurs insupportables pour le survivant. Quand on a la chance d'avoir survécu, on ne pose pas de questions, on ne se plaint pas, on ne cherche pas le bonheur ; en gros, on la ferme et on se contente de vivre, me répétait mon grand-père (...)

Intéressant sans doute, mais on constate ici la trivialité de la langue.

- Le malaise de la génération post soixante-huitarde, que pour ma part je n'ai pas ressenti, mais dont l'évocation est féconde. Page 213 :

Au-delà de la domination maternelle, de la maladie paternelle, du poids de la grande histoire se reflètent les difficultés d'une génération prise en tenaille entre la parenthèse enchantée des années 70 qui a marqué son enfance et le monde qui lui a succédé.

C'est tout de même peu. Alors, certes, Virginie Linhart sait rédiger : sa langue est d'une grande fluidité, rendant la lecture agréable. Cela n'en fait pas une écrivaine. Son Effet maternel rejoint les récits intimes de Mathieu Persan (Il ne doit plus jamais rien m'arriver, qui touche le fond), de Anne Pauly (Avant que j'oublie, un peu mieux, sans justifier le Prix du livre Inter) et de Line Papin (Une vie possible, lui franchement mal écrit). Une famille qui s'accroît dangereusement. L'effet maternel, probablement.

Jduvi
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Créée

le 14 sept. 2024

Modifiée

le 15 sept. 2024

Critique lue 3 fois

Jduvi

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