Il faut impérativement lire ce court roman à la grâce impérieuse pour se laisser porter par le style majestueux de Alice Ferney.Embrasser l'épopée d'une dynastie de femmes aux destins ravageurs demande une finesse d'écriture indispensable et requiert surtout de savoir embarquer son lectorat dans une narration suffisamment bien tissée pour l'envouter.Pari hautement réussi,qui nous donne à voir autant qu'à ressentir la lente agonie tragique de ces parvenues.
Prisonnières d'un siècle,celui de La Grande Guerre,ou la primauté des hommes interdisait toute velléité émancipatrice,elles en étaient réduites à leur plus simple fonction reproductrice.En ces temps anciens,le lien du concubinage n'avait que faire de l'amour,folle lubie féminine dont se gargarisaient avec d'autant plus d'aisance la Noblesse d'une époque meurtrière pour ses enfants que celle ci avait grand besoin de chair à canon pour sa tuerie.Admirables dans leur farouche et héroïque volonté de rester dignes dans la douleur,elles imposent un bouleversant appétit de vie.Absolument rien ne leur est épargnées des vices de l'existence,et la mort viendra le plus souvent cogner insidieusement à leur porte.C'est le châtiment ultime pour ne savoir vouer sa vie entièrement à Dieu,se répètent douloureusement ces pieuses croyantes dans un catholicisme résolument conservateur.L’enfantement est censément être le plus beau cadeau qu'il puisse leur faire,n'en déplaisent à ces ingrates domestiques.Ne pas accepter ce don revient au plus haut sacrilège.Alors se plient elles,non sans conscience de cette double emprise castratrice,à ce sort de subalterne servitude de L'Empire déifié.Élégantes,elles le sont assurément dans cette belle capacité éprouvée à subir un destin forcé sans s'en émouvoir extérieurement.Belles,telles leurs âmes sanctuarisées,sont ces pionnières avant-gardiste d'un féminisme qui ne dit pas son nom.
La densité de ce très beau récit sensible émeut dans la description qu'il nous est donné à lire de cet effroyable condition sacristain,ou la violence des sentiments na d'égal que la force inestimable de la bonté humaine.Car il s'agit bien,pour la romancière,d'étudier la faiblesses des Hommes confrontés à un contexte que personne ne choisit réellement,puisse t'on croire que la religiosité est plus impitoyable envers ses génitrices qu'envers ces mornes soldats de la Patrie.Indéniablement bafouées de leur intime altérité,elles savent aussi reconnaitre la détresse masculine,assignée trop vite à une représentation sociale dont ils ne savent comment véritablement se départir.Touchants dans l'envie de protéger ces épouses,mères et filles qu'ils n'ont jamais choisis,ils font souvent preuve d'une autorité maladroite dans leur comportement.Sous cette poigne de fer se cache indubitablement une faille immense plus que difficile à maitriser.Aimer leur est difficile,eux qui n'ont toujours connus que la confrontation virile d'une masculinité affreusement réductrice.Comment réussir à dépasser cet acquis pour pérenniser un couple voué tôt ou tard à l'évident échec de ces unions forcées?reste que le lien du sang unifie,pour un temps,toute cette descendance dans un même et terrible malheur inévitable.Le propos n'est pas de disculper la gente masculine dans son horrible et misérable vanité,non plus que d'amoindrir la souffrance infligée à leur congénères,mais tenter de comprendre quelle est cette prédestination dans laquelle nous nous enfermons sans prendre le temps de la dépasser.L’Être,sitôt engoncé dans sa miséreuse destination,reste obnubilé par la place qu'il doit tenir et reste incapable de dépasser cette obligation.Il s'en tient alors à des fonctions malhabiles qui le privent de toutes les heureuses possibilités de la vie.
Preuve en est faite que ces âmes damnées,à l'aurore de l'existence,s'en iront dans l'absolu apaisement,persuadées qu'elle sont d'avoir de l'avoir conduite avec la conviction inébranlable de leur fois respectives.La Mort,faucheuse sans pitié,vient les délivrer sagement de leur présence sur Terre,dans un geste de paix.Et de chaque disparition plus ou moins agréables surgit une naissance,comme une apparition divine récompensant humblement la bonté de ses semblables.Le cycle perpétuel de l'ardeur répond à sa frémissante fin,dans une marche en avant inexorable.La toute fin,dans un éternel recommencement,nous dit bien son inexorable et insondable allégresse.L'ampleur majestueux de la fable sied parfaitement au travail méticuleux de l'écrivaine.A peine peut on lui reprocher un marivaudage évitable en plein cœur et une langue abstraite passablement source de distance pour tout non initié.Mais c'est précisément elle qui donne l’intérêt essentiel,de par sa poésie sublime et la douceur extrême qui en émane,enchantant de sa verve mélancolique une histoire hautement recommandable.