Ignacio Ramonet :
- Vous dites que Wikileaks "a donné une leçon de journalisme au monde" et qu'il faudrait "détruire tous les médias" et les remplacer. N'êtes-vous pas, là encore, un peu excessif ?
Julian Assange :
- J'ai travaillé dans les médias, en tant que journaliste et en tant qu'éditeur, en concurrence avec d'autres publications, et aussi, je les connais en tant que consommateur ou lecteur comme tout le monde. Mais j'ai eu l'expérience de quelque chose que peu de gens connaissent, même les journalistes : subir les médias comme sujet. Les médias parlent de moi. J'ai donc développé une perception très aigüe de leur manque de professionnalisme. J'ai constaté qu'ils ont énormément de préjugés et qu'ils demeurent au service du pouvoir dominant. Ils lui rendent des comptes. Parmi les journalistes qui travaillent pour les médias dominants, il y en a de très bons, mais les limitations institutionnelles sont très sévères et presque inévitables. Essentiellement, le pouvoir les corrompt.
Quand un média devient influent, même simplement parce qu'il fait bien son travail, il devient puissant, et recrute donc d'autres professionnels qui travaillent pour lui, et ces professionnels à leur tour sont invités par d'autres groupes sociaux puissants et ils finissent par se retrouver tous entre gens du même niveau social, du même niveau économique, pour échanger des informations. Ce processus est simplement un processus de séduction sociale et de cooptation auquel la plupart des êtres humains sont incapables de résister. Résultat : tout groupe médiatique qui possède de l'influence et qui la possède depuis longtemps n'est plus capable de fournir des informations de façon honnête.
[Annexe 1, Entretien avec Julian Assange, pp. 138-139 édition de poche]