Ode à ce petit moment fatidique où l'être pousse d'un côté plutôt que de l'autre,
Ode à ce moment crucial de l'existence, un moment aussi fermé qu'un centre de rétention, où il faut lire un truc super important, le plus novateur et le plus créatif possible, pour compenser tout le désarroi de l'être qui s'expulse lui-même.
Comme beaucoup, je lis aux toilettes.
Avant j'y lisais des Harlequins qui ont fini par manquer de pages.
Je suis là comme un bureaucrate sur sa chaise percée à m'envahir du malin plaisir. Mais avec l'habitude, c'est devenu routinier. J'ai vite compris qu'il fallait entrecouper avec des ouvrages d'un autre niveau pour que perdure cette habitude d'arracher des pages d'Harlequin - et pour quoi faire d'abord. Déjà l'an passé, la copro s'est plainte l'an passé d'un bouchon au niveau de la canalisation, je voudrais pas que les frais me retombe dessus. Et j'expliquerais quoi ? Que je lis des Harlequins ? Y'a toujours un défenseur des Harlequins quelque part ! Quelqu'un que vous connaissez ! Mais il y a pire... La bourgeoise sémite du rez serait bien capable de me faire revivre les autodafés de la Seconde. Mais c'est de l'eau, c'est de l'eau, rien que de l'eau et de la merde. Des eaux usées, fatiguées, à peine servies. Je dirais que c'est ma voisine du dessus qui jette ses tampons.
Dans ce contexte dramatique de coupes bugétaires au niveau de la copro et de canalisations obsolètes et couteuses, il fallait un prétexte littéraire que de l'eau coule sous les ponts. Qu'est-ce que ça sera le jour du ravalement de façade ? Un Tolkien ? Allons, allons.
L'idée séduisante de me retrouver seul avec l'Enculé, comme ça dans un petit mètre carré, me faisait briller le cul.
L'idée que Nabe puisse penser à un autre... Et à la politique en plus !...
Au bout de quelques pages, je sens comme un poids écrasant, une agitation qui passe sous mes yeux. La moindre phrase, la moindre pensée est une pensée en réaction. Quoi de mieux que la réaction pour une catastrophe. Ce n'est donc pas une écriture de la conscience ni une écriture de contexte. C'est une écriture people, réactionnelle, pour ne pas dire de comptoir.
Il me fait penser à Jacky, M. Nabe. Jacky Du comptoir Du PMU D'en face. Jacky Du Café Des sports (avec la particule, s'il vous plaît). J'aime rendre visite à mon oracle personnel chaque matin. C'est une gouaille locale que tout le monde connaît et qui embaume à lui seul toute la pièce avec ses considérations intempestives. Le terroir ! Il prédit, en demi-heure, plus vite que BFM TV, la météo, l'actualité et son décryptage, les résultats sportifs, etc. Vous le reconnaîtrez facilement : ils s'appellent tous Jacky.
Et puis tiens, je vais l'appeler par ses initiales, M. Nabe. De DSK, on passe fissa à MEN - ce qui pour un roman particulièrement nauséabond sur la microdomination masculine est plutôt drolatique.
A l'odeur d'une feuille morte, dont la chute est suggérée entre les lignes, lente, tourbillonnante, dévitalisée, morte avant d'avoir touché les bas-fonds. Cette désacralisation opérante, c'est bien une histoire de bas-fond, le monologue d'un cynique heureux comme Droopy, martyr de son trop-plein de testostérones tauromachiques.
DSK, c'est peut-être l'histoire de deux couilles sur le déclin, oui, mais de deux couilles symboliques. Les couilles à un énième Dreyfus et MEN, c'est les couilles d'Edouard Drumont. Pour vous donner une meilleure image de ce que c'est, le nouveau Dreyfus, c'est comme le Beaujolais. Celui-là a un goût de banane.
Quant à Edouard Drumont, je rappelle qu'il était le journaliste "anarchiste de droite", fondateur de La Libre Parole, à l'heure de la montée de l'antisémitisme - fin XIXème. La capacité de Drumont à aligner politique, attaques ad hominem et provocations diffamantes était sans borne. C'est Drumont qui accusa Zola après son "J'accuse". C'est Drumont qui fut le premier à se servir des fait divers pour alimenter la haine ethnique et religieuse à l'égard des juifs.
Et comme Drumont, au-delà de la verve acerbe, MEN s'empare d'une page vierge, interstitielle, celle qui a existé entre les nombreuses informations qui ont couvert le fait divers. Verge dans une main, stylo dans l'autre, MEN s'en empare avec la même férocité, avec le même cynisme diogénien. La capacité de MEN à s'insérer dans la pensée de l'Autre, fut-il DSK, étant nulle, on suit avec un malin plaisir le personnage réinventé. Il résulte de ce parcours, partant du Sofitel à la Place des Vosges, une gratuité ignoble mêlée aux tristes vérités de notre monde de ploutocrates. Il ne manque à cette criante vision que le blasphème social, le raccord interdit, social et permanent à la caste juive via le personnage d'Anne Sinclair. Ce dernier personnage est à hurler de rire tellement il est en décalage avec la représentation collective : "Mamie Shoah" Sinclair est une sorte de masochiste marquée de l'Etoile de David, un soldat au portefeuille sans limite qui n'attendait que cette guerre pour vivre cette exode si cher au peuple juif.
MEN nous rendrait presque DSK sympathique dans son dégoût. Mais je le redis, l'empathie n'est pas intentionnelle. MEN en est incapable. Et puis ce n'est pas le but que de réhabiliter un saint parmi les saints. L'objectif, c'est la salle des tortures tandis le reste du monde est dans la soumission. L'objectif, c'est déverser les affects comme un baril de kérosène et de faire craquer l'allumette. L'objectif, c'est de retrouver par nostalgie l'odeur des douches et de re-Zykl-er les faits. On suit alors cet homme maculé de sperme et de scandales pas à pas, cet homme qui se moque autant qu'il se fourvoie, avec une admiration telle pour la haine qu'elle en devient une vocation. Ce qu'il y a d'admirable dans la haine, c'est qu'elle sans limite, tandis que la beauté est une espèce de noyau dur limité. La haine, elle, est infinie, elle se décline à volonté (oui, comme à Flunch Jean-René). Il y a dans la charogne quelques beautés ensevelies. Elle traîne avec elle son cortège de cantharides bombinant par amour du festin. La voie de l'intestin converge avec le feu de l'instinct, sans lequel il n'est aucune spontanéité au monde. Dans son immonde confusion, la haine fond alors dans l'immondice confondant, c'est-à-dire un amour mêlé de bassesses accumulées et d'expiations salutaires. Ce n'est jamais que de la haine, ai-je pensé. Oui, on peut le penser, à défaut d'investir à nouveau lui-même, MEN trouve en DSK un bouc émissaire idéal, il a trouvé l'élément qui ne focalise pas l'attention sur lui mais sur une diversion plutôt.
Mieux ! DSK est la diversion lui-même au travers de cette caricature de complaisance : on ne sait pas bien si ce sont les vagins de noires que DSK aime se farcir ou si c'est Nabe qui s'excite comme un roquet contre la jambe de DSK.
J'ai encore mieux. Il n'y a pas longtemps, je lisais un livre inconnu d'un auteur inconnu sur le quotidien d'un sans-abri. Le livre m'avait alors rappelé le personnage de Nahon dans Seul contre tous. Là où la caricature de DSK fait illusion se situe au travers de ses personnages qui ont tout perdu et qui ont la haine de la race humaine. Nous nous situons exactement au-delà de l'impunité. Nous sommes dans la légitimité avec ce viol. Et c'est ainsi que DSK apparaît comme le plus muni des démunis. DSK a tout ce qu'il veut et Nabe nous apprend qu'il n'a rien, qu'il n'est rien. Il n'est tellement rien qu'il est possible de tout réécrire, que l'isolement et le retrait des affaires humaines sont pour lui salutaire (au moins aussi salutaire qu'un centre d'hébergement et de réinsertion sociale). Hop ! DSK en taule. Rien de tel que de se retirer dans un monastère dépourvu d'économie, les barreaux en plus. Les matons ont juste troqué leur soutane pour un autre uniforme moral.
L'écriture, elle, papillonne, délicieux contraste qui fait obstacle, qui pose un droit de veto sur la réalité psychologique de DSK. C'est un personnage tragique bas et lourd. Tout laisse à penser que tout son être essaie de se souvenir, avec une gravité double, le tremblement de terre d'Agadir (dont MEN ne parlera pas ! - alors qu'un tremblement de terre est évoqué à un moment). Il paraît qu'on mérite son physique. Le tremblement d'Agadir, c'est 12 000 morts. Le tremblement de terre de DSK le rappelle systématiquement à la terre, au sol. C'est comme s'il avait cherché à rejoindre le sol avec ce suicide superbe, comme s'il avait cherché à tuer celui qu'il allait devenir.
L'écriture, elle, s'embourbe ambivalente dans le foutre satirique et dans des images plus ou moins réussies mais MEN ne commet presque jamais de facilités dans ses raccourcis de pensée (c'est possible ça ?!). Je veux dire que quand il attaque, c'est toujours là où on ne l'attend pas. En tous cas, moi, il m'a surpris plus d'une fois. Par exemple, il survole les audiences pour se consacrer le plus souvent à un off, des coulisses fantasmées et truculentes. Il te pose un pavé et toi, tu le reçois de plein gré dans la gueule. Des fois, il vise juste. Des fois, pas vraiment, alors MEN devient redondant, il a tendance à temporiser en gardant une même vigueur (un sentiment bizarre d'écartèlement me poursuit). Des fois, le sentiment que l'auteur remplit des pages juste pour le plaisir de les noircir (comme dans les Harlequins tiens !) me saisit d'effroi... Il me reste de ces fois-là, un sentiment d'inégalité : par exemple, la visite et le récit du détective partant à Tchiakoullé, la prison, la maison ou le passage à la synagogue ne valent certainement pas l'histoire avec Martine Aubry, Jean-François Dérec et... ce rodéo avec Elkabach ? - on sent que l'auteur voulait faire un pastiche de l'Amérique mais... la parodie + le manque de finesse permanent est dommageable pour le déroulement... décevant. Il y a des histoires-satellites dont je me serais bien passé.
J'ajoute une dernière chose remarquable : c'est la maîtrise totale du temps qui passe.
Conclusion.
Edouard Drumont, à la fin de sa vie, avait fait le tour de ses ennemis. Moins par goût de la rédemption que pour sa manière d'assumer de visu les propos qu'il a pu tenir. Je souhaite à Nabe de faire sa tournée de ses mensonges trépidants quand l'heure viendra.
S'il est, enfin, un livre qui réjouira très certainement le Parti Anti-Sioniste, j'admets qu'une adaptation cinématographique, filmée par Abel Ferrara qui plus est (June project), serait une grand moment de démonstration par l'absurde de cet ordre mondial capitaliste, un grand moment de salut pour tous. Effectivement, quand un film commence à être tourné et que le réalisateur pense que DSK est quelqu'un de bien, un juif qui a quelque chose à raconter, cela promet un beau film, dans l'esprit espérons.