Lummox est l'animal de compagnie parfait. Mignon, brave et aimable, douillet, câlin et ronronnant de plaisir sous les grattouilles, c'est la gentillesse même. Le truc, c'est que si on ne connait pas bien Lummox et qu'on le voit débouler à l'improviste d'un pas hésitant et maladroit la gueule béante, on peut aisément se fourvoyer à son sujet et mal interpréter ses intentions... Car Lummox n'est pas un chaton comme un autre...
Estimé à près de six tonnes (surement plus), la bête déambule telle une chenille titanesque sur ses huit colossales pattounes, promenant son énorme blindage d'écailles à travers champs et territoires habités. Lummox ne veut pas le mal, Lummox s'ennuie parfois, alors que son meilleur ami, John Thomas Stuart 11ème du nom part en longue promenade avec sa petite amie. Oh Lummox n'est pas attristé par cette abandon momentané non, il connait ce cycle, un enfant naît, est son meilleur ami quelques années, trouve une partenaire et devient plus absent jusqu'à ce qu'un nouvel enfant ne vienne à naître et devienne son nouveau meilleur ami. Car voilà un siècle qu'il demeure sur la Terre dans l'accueillante famille des Stuart et il s'y plait bien, le gros. Jadis c'est l'arrière arrière grand père de John Thomas qui l'avait ramené d'une obscure expédition et l'avait secrètement gardé, passant les douanes en dissimulant le bestiau dans ses bagages. A l'époque, Lummox était évidemment bien plus petit, mais il avait beaucoup grossi depuis, surtout après avoir ingéré quantités de métal, ce qui avait eu un effet de poussée de croissance hors normes sur la créature reptilienne à la voix de fillette...
C'est alors qu'un jour, dans un moment d'ennui on ne peut plus classique et justifié, Lummox succombe à la tentation d'aller grignoter quelques rosiers chez la voisine et décide de continuer son chemin en dévorant de-ci de-là divers objets toujours bienvenus pour ce gosier gargantuesque acceptant absolument toute matière, des arbres aux palissades en passant par les cailloux et autres cadavres d'animaux, Lummox bouffe tout.
Seulement, l'étrange et gigantesque créature n'étant pas connu du grand public, c'est alors que tout un chacun s'en prend à elle, du citoyen moyen à l'armée elle même, tentant tous recours pour stopper le bulldozer écailleux semblant pour le moin insensible aux fusils, mitraillettes, grenades, missiles et quelconque autre attirail barbare, continuant sa course effrénée et effrayée (le pauvre) dans la confusion la plus totale, démolissant tout et dessinant un sillage de ruines sur son friable passage.
Alors, John Thomas, alerté et terrifié accourt pour rassurer son chiot monstrueux qui se contente de le saluer de sa voix fluette. Un procès s'en suit, tâchant de trouver la meilleure marche à suivre, faisant face aux multiples demandes de mise à mort de la créature reconnue comme destructrice et décrite comme une sorte de "tricératops" vorace.
Parallèlement, un navire extraterrestre venant d'une très lointaine galaxie débarque dans le périmètre Terrien pour réclamer à la planète le retour de l'un des leurs, présumé habitant de cette Terre et jadis soit disant kidnappé. La description de cet être désiré et jusqu'à lors inconnu correspondant étrangement au rouleau compresseur mis à mort, des pourparlers s'ensuivent pour tenter de négocier la restitution de l'animal alors que jeune homme et saurien de bonnes proportions prennent la fuite pour sauvegarder leur amitié... et le gros bordel commence vraiment.
Robert Einlein nous sert là une fable aussi joliment touchante que plaisamment cocasse, jouant des situations pour mettre en scène l'animal et son propriétaire humain dans leur fuite face à des institutions qui les dépassent, avec tout l'humour qu'on peut faire jaillir d'un conte enjoué illustrant le lien entre un humain et un truc cératopsien improbable de dix mètres inarrêtable armé d'un four béant avalant tout sans exception au gré de ses envies et discutant avec son ami d'une voix au ton légèrement demeuré de ses impressions sur cet étrange monde en agitation enfoui sous les méandres de ses obscures décisions.
Une histoire aussi enfantine que puissante au final, se permettant d'aborder bien des sujets relativement communs au genre de cette merveilleuse et profonde SF définitivement éteinte d'un âge d'or reculé et regretté sous la plume prodigue de ce conteur fabuleux qu'est Heinlein, qui lorsqu'il ne décrit pas d'épopée spatiale démentielle, sait aussi, en quelques 200 pages, raconter l'espace d'un court instant une belle rêverie bien fun.
Un grand merci à Amethyste qui un jour, alors qu'elle venait me demander si je ne connaissais pas un livre parlant d'une sorte de tricératops spatial et d'importance particulière sur sa planète, ne savait pas qu'elle allait me faire découvrir une nouvelle perle de SF insoupçonnée absolument unique et très recommandable. (pour rêver un peu bordel)