J’avais dit ailleurs que je n’avais pas envie de lire d’autre livre d’Asselineau que sa biographie de Baudelaire. Alors finalement si. L’occasion fait le larron, et j’ai trouvé celui-ci d’occasion, publié par une sympathique maison d’édition – ou plutôt de rééditions.
Pas mauvais, juste moyen, cet Enfer du bibliophile ressemble à des centaines d’autres récits courts de la deuxième moitié du XIXe siècle : une narration à la première personne, l’idée que la littérature peut donner sens à toute une vie, un style égal de part en part, un entrecroisement permanent du réel et de l’invention, un ton qui est parfois celui des conversations entre amis. Avec ici ces références récurrentes à la littérature, comme ensemble d’œuvres mais aussi comme « milieu social », peu étonnantes en somme sous la plume de l’auteur de Charles Baudelaire, sa vie et son œuvre.
Quand on écrit « Les éléments conspiraient ce soir-là avec moi contre les hommes » (chapitre IV), il faut être sûr de soi et de son lecteur : sûr que le lecteur sera suffisamment averti pour lire cette phrase comme ce qu’elle est, c’est-à-dire un cliché, et sûr que le reste du récit sera suffisamment bien écrit pour que ce cliché soit considéré comme on veut qu’il soit considéré, c’est-à-dire comme un cliché volontaire. Autrement dit, selon que le lecteur applique à la littérature le principe de charité de Quine et Davidson ou le canon de Morgan, cet Enfer du bibliophile prendra des valeurs différentes. Mais cela ne suffit pas.
L’auteur et le lecteur savent tous deux que le narrateur personnifie son livre quand il s’exclame : « Ô charmant petit livre ! disais-je ; petite Manon Lescaut, si bien imprimée par Didot en 1797 ! Béni soit l’amateur qui t’a si bien conservée, lavée, encollée et habillée de maroquin puce ; béni soit le relieur qui t’a reliée, le laveur qui t’a lavée, l’encolleur qui t’a encollée. » (X). Et cette confusion entre livre et personne réelle (et peut-être héroïne) fait précisément le sel de ce passage, quoi qu’on pense par ailleurs de sa réussite. C’est-à-dire que même lorsque le principe de charité s’impose de toute évidence, chaque lecteur pourra se faire sa propre idée de l’Enfer du bibliophile.
C’est ainsi, par exemple, que j’ai trouvé la chute de la nouvelle bien convenue.

Alcofribas
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le 26 nov. 2016

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