Le premier au-delà de Dante ne se lit pas comme se lirait une épopée quelconque à la Homère ou à la Virgile (bien que ces dernières n'aient rien de quelconque justement). On est véritablement inviter à vivre ce voyage initiatique davantage qu'à lire passivement ces chants infernaux. Parce que le jeune Dante est innocent, craintif et qu'il a comme nous le besoin d'être guidé au sein de cet univers étrange auquel il n'appartient d'aucune sorte, nous nous identifions à lui, il est comme un double qui va faire une expérience pour nous, expérience que nous allons vivre par procuration. Les sentiments du narrateur sont comme imprimés sur notre propre personne par un jeu de point de vue et par les nombreuses prosopopées qui animent le poème, comme lui il est un moment où nous vivons une sorte de basculement vers ce que Virgile, guide spirituel au travers des bas-fonds de l'entonnoir infernal, dénonce comme un « bas désir » à savoir une fascination malsaine pour le mal et pour ces êtres suppliciés qui trouvent parfois encore la force d'exprimer de l'orgueil. Peut-on vouloir, au prix d'un tel sort, le mal? Grande question éthique que Dante se pose sans hypocrisie ou idée reçue en pensant véritablement la possibilité de choisir un tel destin et de vouloir être reconnu pour les actes qui nous ont menés là: jusqu'au cinquième cercle, les damnés sont obsédés par l'idée de leur renommée et par le fait que l'on doive se souvenir d'eux sur Terre et c'est pour ça qu'ils s'adressent et se nomment face à Dante car il est celui qui est destiné à retourner sur Terre n'étant pas encore mort, alors même que toutes les prières terrestres ne sauraient les sauver (contrairement aux âmes qui sont au Purgatoire).
Le génie de Dante se mesure aussi à l'incroyable diversité de son Enfer tant en termes de paysages qu'en termes de Panthéon inhumain. L'entonnoir creusé par la chute de Lucifer est divisé en de multiples cercles, eux-mêmes subdivisés en zones plus petites, il est d'une incroyable complexité si bien que j'ai peu à peu construit un plan pour m'y retrouver dans ce lieu un peu fou. A chaque région correspond un châtiment particulier propre au vice qui a animé les damnés qui y séjournent, l'inventivité de Dante est absolument incroyable et les mythes antiques et médiévaux sont exploités de manière unique, les gardiens des cercles sont souvent des divinités païennes qui loin d'être rejetées de l'œuvre chrétienne plutôt apologétique, sont intégrées au monument infernal. On peut dire que ce premier mouvement de la vaste Divine Comédie est à l'image de toute l'œuvre: un patchwork de cultures qui me fait voir Dante comme un auteur humaniste avant la lettre. Il n'est pas un juge terrible, il est d'une objectivité et d'une compassion sans pareil lorsqu'il pose son regard sur ces âmes errantes mais en même temps, il n'hésite pas à bouleverser les croyances traditionnelles et à ne montrer son respect qu'aux rares qui le méritent réellement: de nombreux papes sont ainsi placées dans les tréfonds, au plus proche de Lucifer, parce qu'ils ont péché. Le regard n'est pas naïvement larmoyant, il est aussi d'une lucidité aveuglante.
Le verbe enfin mérite d'être remarqué. La poésie dantesque est certes écrite en style bas, vulgaire mais la nouveauté, les résonances, le lyrisme qui affleure sans cesse font de la lecture une expérience audacieuse et plaisante malgré la gravité et l'horreur du sujet. Un classique littéraire fascinant à lire, à vivre comme un passage vers un monde plus léger dépeint dans un autre au-delà, dans la fin du voyage.
Regard-Humain
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le 22 déc. 2010

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