Incontournable Janvier 2023
Après le recueil de contes classiques ayant subit la même opération d'inversion des genres, "Le Bel au bois dormant", voici un recueil de mythes et légendes grecques, tous aussi joyeusement inversés, signé par le même tandem autrice-illustrateur.
Vous y retrouverez:
-La boîte de Pandoron
-Zéa et le boeuf Ios
-L'enlèvement de Perséphon
-Perséa et la tête de Médusos
-La chute d'Icaria
-Théséa et la Minogénisse
-Orphéia et Eurydichos
-La toile d'Arachnos
-Ulyssa et la Cyclopesse
-Ulyssa, Circéos et les sirènes
-Érôsa et Psychos
-Pygmalionne et Galatéos
-Atalantos, le chasseur
Je suis toujours impressionnée de voir à quel point la mythologie grecque est cruelle et les Dieux très "humains" au fond, avec leur jalousie maladive, leur égo démesuré et leur incapacité à gérer leur libido ( surtout Zeus/Zéa). Mais ici, avec ces inversions, on remarque beaucoup plus facilement le clivage de genre, déjà très ancré dans l'humanité.
Déjà, le simple emplois de "femmes" ( au sens "Humaines"), "mortelles" et "guerrières" un peu partout laisse apparaitre l'absence du masculin. On retrouve même , dans le mythe de Thésée/Théséa, la présence du terme "puceaux". On y parle bien des belles jeunes Nobles, mais quand on réfère au masculin, on tombe dans "puceaux", comme si leur valeur en tant que genre se limitait à leur virginité. Donc, dans le mythe normal, on avait fait pareil avec les femmes. C'est tout de même révélateur des mœurs de l'époque: alors que les personnages masculins étaient forts, courageux et "Nobles", les filles, bah, elles étaient belles et vierges.
Cet attrait pour la beauté est cependant relativement égal au masculin comme au féminin, c'est même lassant à la longue, parce que tous les personnages sont extrêmement beaux. Pas très représentatif de l'espèce, disons, mais cela traduit surtout à quel point les grecs faisaient déjà une fixation sur l'apparence. Quand on sait que les jeux Olympiques de l'époque étaient aussi destinés à mettre en évidence la beauté [ mâle] en imposant la nudité aux sportifs, je me dis que c'est au moins cohérent. Je note cependant que la différence entre femmes et hommes est l'accent mit sur la force et la grandeur des hommes ( les femmes dans le présent album). La couleur blonde est particulièrement présente aussi pour les cheveux, ce qui est un brin malaisant quand on connait les antécédents de l'Europe avec la prétendue "race" aryenne ou la fixation hollywodienne pour les blonds aux yeux bleus. Décidément, le stéréotype de la beauté blonde aussi est assez âgé.
Les hommes dans cet album qui tiennent donc les rôles de femmes se retrouvent souvent en objet de convoitise, de trophée ou de décoration. Là je reconnais nos stéréotypes modernes! Là dessus, on a progressé un peu, mais dans le monde, ces trois types de rôles restent suprêmement représentatif des personnages féminins. C'est donc amusant de voir les femmes avoir les meilleurs rôles ici: guerrières, stratèges, grande patronne divine, architectes, Reines ( D'ailleurs, on parle de "Reinaume", non pas "Royaume"), etc, alors que les hommes ont le rôle de support comme Arian ou une passion stéréotypée comme Arachnos ( le tissage) ou Orphéia ( le luth et le chant). Un certain nombre de personnages masculins auront été kidnappés, un certain autre nombre au cœur d'une crise de jalousie de source humaine ou divine. En matière de crêpage de chignon et mesquineries puériles, Occupation Double peut aller se rhabiller!
Le seul personnage qui est très clairement victime de son genre est Atalantos, qu'on a carrément abandonné parce qu'il est né garçon et que sa mère a tout-de-suite sauté à la conclusion qu'il ne pourrait pas un jour régner et est donc inutile. Mais les autres personnages hommes sont souvent victimes des préjugés de genre, qui les positionnent dans les rôles d'êtres fragiles, facilement impressionnables et généralement peu dotés d'habiletés de survie.
Les mythes ont un ordre précis, qui est choisi, car certains se suivent chronologiquement. Je pense notamment à Prométhéa qui est sanctionné dans son propre mythe puis libérée dans le mythe d'Ios.
Je remarque aussi tout l'aspect "Élite" qui est clairement visible dans ces mythes, avec la présence assez importante des titres "Princes/Princesses", "Nobles", et autres qualificatifs impérieux. Beauté et noblesse donc. Résultat des auteurs qui ont écrit ces versions des mythes ( ensuite reprit par l'autrice du présent ouvrage)? Je me demande. Il y a aussi beaucoup d'accent sur la richesse matérielle, les matériaux nobles comme l'or et les pièces de tissus de grande qualité. Quand on parle du divin, on semble aussi tout rapporter ce qui se rapproche du divin matériel également, ne l’occurrence l'Élite sociale. Je ne pense pas que ce choix soit anodin, car après tout, même les religions actuelles ont aussi ce penchant sans vergogne pour le luxe, en témoigne la richesse ostentatoire du Vatican.
Il y a la présence d'illustrations, qui ne sont pas dans mes goûts personnels, mais dont je reconnais l'utilité et la symbolique. L'illustrateur donne d'ailleurs très bien le rendu inverse: des hommes dénudés, alanguis et au corps finement musclé, alors que les femmes sont encore plus costaudes et musclées, en armures, moins dénudées et moins sensuelles que les personnages masculins. Vraiment, bien exécuté sur ce plan là! J'aime bien aussi la diversité ethnique en présence qu'on devine aux variations de saturation de la couleur ( parce que nul personnage n'est dans une palette de peau normale). Il y a beaucoup de roses, de violets, de bleus et de verts. Enfin, j'aime que l'illustrateur ait trouvé le tour de mettre un peu de "féminité" à travers ses armures, de manière à ne pas simplement habiller ses femmes en "hommes".
J'adore quand les auteurs jeunesse proposent de sortir des sentiers battus en changeant un élément aussi clivé que la question du genre. C'est vraiment efficace pour souligner les iniquités et les mauvaises associations genrées, qui ne sont pas toujours au service du genre, justement. Peut-être que ça va agacer les gars de se voir toujours représentés en amateurs de broderie au cœur de chamailleries de coqs ( oups, non, de poules dans ce cas-ci!). Peut-être que ça va inspirer les filles d'être enfin les fortes, courageuses et aventurières de l'histoire, pour une fois. Bref, ça dérange dans le bon sens et tout en ayant le mérite de présenter les mythes, on interroge la question du rapport entre les genres.
Enfin, je trouve la préface très intéressante, surtout l'élément "figé" des histoires. Ce que Titiou Lecoq explique, c'est que l'histoire appariée à un seul auteur ou une seule autrice est relativement récente, qu'autrefois, les mythes fluctuaient et évoluaient au rythme des orateurs qui les rependait. Il n'est donc pas fou d'iverser les genres dans ce contexte. Et comme madame Lecoq le mentionne, le passage du masculin au féminin permet aussi de prendre conscience que certains défauts sont associés au masculin ( comme l’orgueil par exemple).
Vous trouverez à la fin les prénoms d'origine des personnages et les personnes ressources qui ont produit les textes d'origine, ainsi que la personne qui a créé les nouveaux prénoms, M Roderick Beaton.
Un album pour interroger, questionner et surprendre, tout en étant ludique.
Pour un lectorat à partir du troisième cycle primaire, 10-12 ans.
Aucune scènes sexuellement suggestives. Il y a quelques punitions sont vraiment impitoyables mais rien de très graphique.