Incontournable Septembre 2022


Une fois n'est pas coutume, j'ai un deuxième opus Incontournable ! D'ordinaire, seuls les tomes 1 deviennent des Incontournables. Comme quoi il n'est pas toujours aisé de discriminer un si grand nombre de livres à chaque nouveau mois et d'espérer ne pas en rater un. Donc, ayant raté le tome 1, me voici à parler du tome 2 de cette série jeunesse québecoise, pas seulement savoureuse pour son enquête bien menée, mais aussi pour son français élégant - surtout pour du niveau Intermédiaire du second cycle primaire. ( nos 8-9 ans).


Charlotte Lemaire allait tout bonnement acheter le nécessaire à la confection de divins pains dorés lorsque l'épicier l'interpelle. Il l'accuse d'avoir caché une barre de chocolat dans son sac à dos pour mieux la voler. Un malheur ne venant jamais seul, la jeune fille est accusé devant son intimidateur, Aymeric, qui en a d'ailleurs profité pour commettre un vol. Mais une odeur de fumée surprend Charlotte, qui va fuir aussitôt "la scène de crime", pour trouver la source de l'incendie. Ce dernier a commencé près de la pharmacie. Charlotte, qui adore investiguer, veut découvrir la source de ce feu, qui a été heureusement maitrisé. Une cause qui lui semblera, au vu des indices, très probablement causé par un dragon...reste maintenant à le trouver pour étayer son hypothèse! Grâce à Watson, son chapeau avec lequel elle peut communiquer par la pensée, et Alexandre, son "meilleur ami secret", Charlotte mène l'enquête...une tâche compliquée par ses soucis avec le mesquin et menteur Aymeric.


Sérieux...wow! Quel beau niveau de français! Des adverbes recherchés, des verbes variés, des tas de synonymes et une fluidité dans le récit, on a un français franchement mieux que ce à quoi je suis habitué avec les romans Intermédiaires des 8-9 ans. On a ici un roman de bonne qualité linguistique pour le second cycle primaire. À cela s'ajoute le vocabulaire d'enquête employé avec précision et mêmes des termes cool tels que "généralisation abusive" ou "historique de combat". C'est un roman en "gros format", c'est-à-dire un roman de bonne épaisseur en raison de la grosse police de caractère. Il n'est pas illustré comme la vaste majorité de ce format, ceci-dit. Mais surtout, il ne tombe pas dans le texte insipide que je croise trop souvent pour ce type format et ce niveau de lectorat. Enfin, il faut mentionner que Charlotte ayant un trouble de l'articulation, le "zozotement"( au Qc ) ou "zézaiement" ( en Fr ) ou "stigmatisme interdental" ( pour les plus intellectuels), les mots "zozottés" sont en caractère gras pour mieux les cibler.


Je ne suis pas souvent impressionné par les enquêtes jeunesse, car les auteurs manquent souvent d'originalité en la matière et se bornent aux animaux disparus ou aux voisins louches. Ici, on a quelque chose de différent: un incendie suspect. Et ce n'est pas simplement le sujet, mais le traitement qui est intéressant. Charlotte fait des listes, elle fait de la déduction ( bon, pas toujours réussies), procède par élimination et cherche des indices. En somme, elle a une bonne méthode, chose qui manque souvent dans les enquêtes des romans jeunesse. Bon, elle fait parfois des liens causal erronés, parce qu'elle s'est mise en tête que la cause de l'incendie était un dragon. Ce qui fait qu'à la fin, elle découvre qu'elle n'y est pas du tout. Oups. On a donc une enquête ratée. Ça donne une fin amusante, parce qu'avec les découvertes de Charlotte, en théorie, ça tenait debout! Je me suis demandée si on avait pas un roman fantastique ( le genre), mais non. Charlotte découvre que son "dragon" est en réalité une voiture gardée secrète, parce que Mathieu, qui l'a retapée, comptait l'offrir à sa copine, Simone, soeur d'Alexandre. Je dirais que c'est justement cet imbroglio qui fait le croquant de cette histoire.


En parallèle, nous avons un thème important: l'intimidation. Oui, on en a beaucoup maintenant en jeunesse, mais comme c'est toujours d'actualité, ce n'est jamais de trop d'en parler à travers la littérature. Charlotte se fait mettre de côté en raison de son élocution particulière. Dans ce tome-ci, néanmoins, le harcèlement va plus loin: Aymeric a utilisé Charlotte comme diversion pour commettre un col à l'étalage. Résultat, Charlotte est dans l'eau chaude à cause de lui, mais Aymeric va plus loin. Il met les emballages des bonbons volés dans le pupitre de la jeune fille pour mieux l'incriminer. Il fait véhiculer la nouvelle de son "vol" aux autres étudiants, qui la rejettent encore plus. Quand elle tente de le faire avouer, il retourne ses mots contre elle et devant tout le monde, l'enfonce encore plus dans le rôle qu'il veut lui faire jouer. Démunie, seule, convaincue que même Alexandre ne la croit pas, Charlotte se sent acculée et incapable de faire valoir la vérité. Aymeric est un bon menteur et jouit d'une bonne popularité, ce qui ajoute à sa "puissance". Heureusement, Alexandre ne faisait que jouer un rôle lui aussi, pour faire avouer Aymeric sur sa tablette, de manière à le dénoncer aux autorités. Aymeric est donc arrêter devant tous ses camarades pour "vol à l'étalage".


Il y a deux dimensions que j'apprécie dans cette histoire d'intimidation. D'abord, on peut observer assez bien que selon le statut social dans le milieu scolaire, un enfant sera prit au sérieux en fonction de ce statut, très souvent. On observe que les autres étudiants n'ont pas douté un seul instant de la parole d'Aymeric, parce qu'il est populaire. Il faut dire aussi que c'est un habile menteur, mais tout de même, on condamne d'emblée Charlotte sans preuves. La seconde dimension est la gravité des gestes posés. Ici, on ne rechigne pas à appeler un chat un chat: voler, c'est criminel, et ce sera traité comme tel, surtout quand on se sert d'un autre individu pour se couvrir. Ici, il n'y a pas de demi mesures, c'est un policier qui va venir chercher le voleur et il écopera d'une peine de travaux communautaires. J'apprécie aussi que pour une fois, il n'y ait pas la présence d'adultes stupides, comme on en voit souvent dans les histoires d'intimidations.


Il y a une belle dimension sur l'amitié également. Bon, au début, je trouvais bien triste qu'Alexandre soit un ami "dans le placard" pour Charlotte, puisqu'il était le meilleur ami d'Aymeric. En même temps, il a fini par changer de diapason, en constatant qu'il avait une meilleure relation avec Charlotte, qu'il admire et respecte, dont il a à coeur le bien-être, plutôt que sa relation unidirectionnelle avec Aymeric. Les amitiés changent, il est parfois bon de le rappeler. Ça m'a fait sourire quand Charlotte indique à Alexandre, vers la fin, qu'elle n'a pas besoin de "preux chevalier", en référence au fait qu'il n'était pas présent lors de l'humiliation d'Aymeric à son endroit. Mais il reformule en disant qu'il sera là pour elle. Encore là, j'aime bien que leur dyade repose sur quelque chose de plus sincère qu'une simple complémentarité de genre et les clichés qui viennent généralement avec. Ainsi, Charlotte est la tête pensante du groupe et se montre audacieuse, décidée et parfois même casse-cou. Au contraire, Alexandre est l'empathique, le tendre, le prévenant et le loyal du duo. Une vraie tendance inverse qui me plait beaucoup! Si Watson le chapeau n'était pas là, j'aurais eu tendance à mettre Alexandre dans le rôle complémentaire de James Watson pour Sherlock Holmes.


Parmi les personnages, j'ai bien aimé Simone, une bonne tête et une adolescente qui a des couilles ( au sens figuré). Watson, dont j'ai du deviner un peu qu'il s'agissait du chapeau ( mais à ma décharge j'ai sauté le tome 1 qui devait nous l'expliquer) a un impact sur Charlotte. Il constitue une forme de "voix intérieur", une voix pragmatique et qui sait relativiser les choses à la manière d'un adulte. Il est intriguant ce personnage-objet. Mention aux parents également, qui ne sont pas des abrutis, comme font les auteurs qui veulent relever l'intelligence de leur héro en stupidifiant tous les autres. Ici, nous ne sommes pas dans cette logique.


Dernier petit point qui a son importance pour moi: la représentation géographique! Un terme ben ben guindé pour simplement signifier que c'est bien d'avoir des personnages qui habitent autre chose que la grande ville. Charlotte habite St-Merlin, qu'on devine petit sans même le dire. Charlotte nous parle notamment du service de pompier qui désert plusieurs villages, situé à Saint-Albus ( Oh? Albus, Merlin, on fait un thème "Grands Magiciens"? Puis-je suggérer St-Gandalf? Ou Sainte-Galadrielle, histoire d'être plus représentatif?). Et tout le monde se connait. Il y a également un verger, avec ses variétés indiquées. Bref, j'aime bien les histoires de petits patelins qui ne sont pas justes ces nombreux cas de héros obligés de vivre en campagne, avec le lot de clichés que ça implique ( oui, je sais, je radote).


Je remarque que l'illustratrice a forcément lu le roman pour avoir si bien représenté Charlotte, les environs et même le livre vert à dorures sur les dragons!


Une série sympathique à souhait aussi savoureux qu'un chausson de pomme fait-maison, idéal pour les jeunes amateurs d'investigations. Les amateurs/amatrices de la série "SCI Ruelle" pourrait d'ailleurs y trouver un défi intéressant.


Pour un lectorat à partir de 9-10 ans ( 4-5e année) ou des 8 ans qui sont des lecteurs habitués, qui ne craindront pas le nombre de pages ( 260 sans illustrations) et le niveau de français.

Shaynning

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