Comment mêler si justement Histoire et Roman

Loin de ce à quoi je m'attendais en ouvrant les premières pages de ce livre (et en ayant à le lire dans le cadre de mes études), cette épopée d'Erik Orsenna va en effet bien au delà des attentes. M’attendant plutôt à un récit d’évènements relatant de l’expédition de Christophe Colomb, récit qui aurait été intéressant mais qui n’aurait jamais égalé la subtilité de ce récit-ci, nous arborons cette période par une narration qui donne la parole au frère de Colomb dont l’existence est cachée par le rayonnement de son ainé. De fait, le personnage de Bartolomé est complexe et attachant, puisqu’il a un regard fraternel sur Christophe à la fois débordant d’admiration, et à la fois biaisé par une jalousie non-dissimulée et parfaitement humaine, qui permet l’identification à la fois à Bartolomé qui est notre guide dans ce voyage dans le temps, mais aussi à Christophe puisque la proximité entre lui et son frère nous permet de le voir tel l’homme qu’il était, tantôt ambitieux, peureux, effronté et tantôt protecteur. C’est un livre relativement rapide à lire, l’auteur ne s’égare pas dans des détours inutiles et est très documenté ce qui lie à la fois le roman à l’Histoire. Pour ma part, j’ai une préférence incontestable pour la première partie, tant la description de Lisbonne, de toutes les manières sauf visuelle ou architecturale, était prenante : les mœurs, les habitants, les sentiments, et notamment l’amour de la mer s’est ressenti dans cette première partie comme jamais ailleurs dans le livre, et si le but d’Orsenna était de partager son intérêt des voyages et de la découverte, 375 pages auront réussi à nous faire voyager, dans le temps et dans l’espace. C’est une bonne découverte, et c’est le cas de le dire, qui donne la parole à un des oubliés de l’histoire, sans cesse écartés par les grandes figures mais qui auraient pourtant de nombreuses choses à dire, et je pense que c’est l’une des leçons importantes qu’essaie de nous donner Orsenna. De la même façon, tout ce qui tourne autour de la cartographie était relativement mystérieux pour moi, voire mystique et cet art, cette science, ce mélange d’art et de savoir est si justement décrit, tantôt sur la technique, tantôt sur les outils, tantôt sur la passion des cartes, qui apporte une valeur au propos. Un paysage décirit de manière complexe et onirique qui permet baser l’histoire de ces deux frères, tout en puisant dans l’Histoire même. Le travail de documentation fait autour des « légendes des îles », et sans savoir si elles sont vraies, est remarquable, et il m’est arrivé au cours de la lecture de comprendre l’ambition de Christophe sur ses îles, tant le sentiment de découverte y était contagieux. De l’autre côté, Bartolomé a toujours su ramener son frère à la réalité, ce qui a eu le même effet sur le lecteur, et si pour ma part je me suis rangée du côté du cadet, impressionnée par l’Ailleurs, admiratif des projets de découverte, mais préférant mille fois le confort et les multitudes de découvertes qu’offraient la description de la ville de Lisbonne, c’est peut être pour cette raison que la première partie m’a autant marquée. L’imaginaire a totalement envahi l’Histoire dans ce livre dans une subtilité qui ne serait guère utile à un technicien, même si cela permet une certaine approche plus aisée de cette période trop méconnue et mystifiée du public.

Bref, un gros coup de coeur (et c'est rare quand on lit des romans dans le cadre de nos études #facdhistoire).