Pour tout dire, avec ce livre, je me sens un peu trahie. Jusqu'à présent, Danielewski était mon "maître en écriture", ma référence, je passe mon temps à conseiller ses écrits à mon entourage, à vanter son génie. J'ai applaudi des deux mains l'inventivité et la complexité de la Maison des Feuilles. J'ai certes un peu moins accroché à Ô Revolutions, faute de saisir les tenants et aboutissants de l'histoire américaine, mais j'ai été totalement enchantée par la mise en page et le système de lecture. Dans ces deux ouvrages, la mise en page et le graphisme répondaient à l'histoire, ils étaient là pour une raison, ils se justifiaient, ils accentuaient même l'impression dégagée par le récit : Dans la Maison des Feuilles, l'oppression, la déchéance progressive ; dans Ô Revolution, la spirale infernale dans laquelle le lecteur est embarqué et qui tourne, tourne, toujours plus vite.
Seulement voilà. Dans "L'Epée des Cinquante ans", à mes yeux, la mise en page ne se justifie pas. Pire, elle rend la lecture difficile et presque désagréable. Je comprends l'insertion des illustrations (broderies), qui évoluent au fil des pages et qui, bien qu'assez anecdotiques, correspondent et suivent l'histoire. Je comprends moins en revanche ce besoin de hacher le texte en le faisant passer pour un récit à 5 voix, alors qu'une seule aurait suffit. Cependant, point positif, j'imagine tout à fait l'adaptation théâtrale de ce récit, à 5 voix cette fois. Elles résonnaient dans ma tête pendant la lecture, et j'aurais presque pris davantage de plaisir à "entendre" ce livre qu'à le "lire". J'ai pourtant tenté de lire entre les lignes ; j'ai cherché plusieurs niveaux de lecture, me disant que, peut-être, en séparant les voix, 5 nouveaux récits feraient leur apparition. J'ai cherché d'autres niveaux. Ca ne m'aurait pas paru étonnant compte tenu de l'inventivité habituelle de Danielewski. Mais j'ai eu beau chercher, je n'ai rien trouvé.
Le récit en lui-même est plutôt sympathique et original, bien que trop court et pas assez approfondi. Je me suis rapidement doutée de la fin, d'autant plus rapidement que ce livre se lit très vite, même en prenant son temps... Je l'attendais comme un gamin attend ses cadeaux de Noël, je voulais le savourer, comme j'ai savouré les deux précédents. J'ai tout observé, relevé tous les détails, observé les illustrations, mais même avec ça, en moins d'1h30, il était expédié... Pourquoi ? Parce qu'en plus d'une mise exagérément aérée, seule une page sur deux accueille du texte. L'autre reste soit blanche, soit illustrée. Grosso modo, ce livre pourrait tenir en 50 pages avec une mise en page traditionnelle. Et encore. En écrivant gros. Et en sautant des lignes.
On retrouve cependant le style habituel de Danielewski, et ça fait plaisir de le voir jouer avec les mots, de les fusionner pour en inventer d'autres, de les modeler à sa façon. Je tire mon chapeau à la traductrice, qui a dû s'arracher les cheveux plus d'une fois, mais qui a fait un super boulot. Le fond est vraiment agréable et intéressant, pourquoi a-t-il fallu que la forme gâche le tout ? J'aurais aimé davantage d'approfondissement sur le récit en lui-même, j'aurais aimé avoir le temps de l'apprécier à sa juste valeur, j'aurais aimé rentrer davantage dans ce nouvel univers ma foi assez original, plutôt que de subir une mise en page qui, cette fois, n'a rien à faire là. Etre original est une chose, mais ça ne fait pas tout. Finalement, ce n'est pas une histoire de fantôme, comme le suggère le résumé, c'est une histoire de courant d'air, qui passe trop vite pour qu'on puisse en saisir la subtilité, même si l'on sent qu'il y aurait des choses à en dire. C'est l'histoire d'un courant d'air qui coûte cher... Un livre à 22€ pour la moitié des pages seulement qui contiennent quelque chose, et un roman qui s'apparente davantage à une nouvelle.
J'ai mis une note de 6, parce que quand même, c'est Danielewki. Mais j'étais à deux doigts de mettre moins...
Bref, Danielewski m'a trahie.