L'Equilibre du monde est une plongée sans concession dans l'Inde moderne, dans les sursauts du règne controversé d'Indira Ghandi, que j'ai découverte à cette occasion... On suit des personnages attachants et nuancés : Om et Ishvar, neveu et oncle ballotés dans la grande ville, tailleurs tentant de s'extirper de leur statut d'intouchables ; Dina jeune veuve indépendante qui refuse d'être entretenue par son riche frère ; Manek l'étudiant en révolte ; et plus tard Shankar, le mendiant cul-de-jatte, à la joie de vivre inouïe. Chacun tente de faire dévier la courbe de son destin, et se débat dans une société profondément hostile et injuste, où le moindre requin est poursuivi par une plus grosse bête que lui. Ce sont Les Misérables à l'indienne, avec de beaux moments de fraternité dans un marasme de galères.
La métaphore du tissu qu'ouvrage les tisseurs court dans tout le roman de 900 pages (qui auraient gagné à être resserré, même si j'ai étonnement su le lire avec fluidité et entrain) : la tendresse des hommes s'entremêle à la terrible réalité du tissu social indien, impitoyable et profondément inégalitaire. La noirceur des coeurs est ponctuée de quelques éclaircies lumineuses, mais on en ressort quand même lessivé de temps de malheurs. C'est un roman efficace plus que poignant : la narration laisse en haleine alors qu'on y voit légèrement les coutures de la grande histoire. C'est pardonné par ce que je ne peux pas appeler autrement qu'une grande efficacité : on progresse en allers retours patients, et la moindre anecdote finira par trouver un sens dans le schéma brouillonné par Rohinton Mistry. Un roman réaliste mais romanesque, que j'imagine bien porté à l'écran.