Derrière un titre évoquant la poésie et l'évasion, "L'été et la mer" donne plutôt à mettre en lumière les bas-fonds de l'humanité. Pas de plage, de baignade joyeuse à la mer ou de détente ici ; plutôt la boue, la corruption, et la violence.


Le plus remarquable dans ce roman est peut-être qu'il ait été publié pour la première fois en 1987. Le réchauffement climatique et la montée du niveau des eaux, les dérives du capitalisme, la paupérisation massive de la classe moyenne, la corruption et la ghettoïsation y sont mis en scène avec un réel talent d'anticipation. Si ce roman était écrit aujourd'hui, il serait complètement dans l'air du temps. Pas de dystopie se passant dans des plusieurs siècles ici : on est sur les années 2040-2060, pas bien loin donc.


L'essentiel du roman situe son action en Australie, aux environs de Newton. On y suit le destin de la famille Conway : un père, une mère et leurs deux enfants. Pour la société, ce sont des "Stables" : ils sont aisés, vivent dans une maison agréable, loin des quartiers Souilles où s'entassent des millions d'individus vivant dans la misère au sein de tours contrôlées par quelques Caïds. Mais lorsque le père Conway perd son travail, le destin de la famille bascule : ils vont devoir aller vivre dans la Frange, un espace à la lisière des quartiers pauvres. S'ensuivra pour la mère et ses deux enfants, Francis et Edward, un ensemble de décisions à prendre pour tenter de survivre dans cet univers social rongé par la corruption, la violence, la saleté, avec en toile de fond les catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique et la surpopulation que l'Etat n'arrive plus à gérer.

J'écris "l'essentiel du roman", car il y a une petite mise en abime du roman dans le roman, mais je ne détaillerais pas ce point ici car il est explicité très tôt dans le récit.


Il y a une ambiance glauque et pessimiste dans cette histoire. Les lieux sont pour la quasi-totalité laids et tristes (des tours, des appartements surpeuplés, du béton, la rue) et les personnages pas forcément très appréciables. Sur ce point, on ne pourra pas reprocher à Georges R. Turner d'avoir fait dans le manichéisme : tous les personnages peuvent être considérés comme détestables ou appréciables à certains moments du récit, la narration polyphonique contribuant encore plus à déterminer les sombres desseins qui motivent les actions de chacun d'entre eux et leurs compromissions fréquentes tout au long du récit. Compromissions nécessaires ? C'est peut-être la grande question de ce livre : comment trouver le salut individuel dans une société en décrépitude, se battre ou attendre ? Et si l'on se bat, est-il possible de garder son humanité et ne pas se compromettre ?


Les premiers chapitres sont ceux que j'ai trouvés les plus réussis. On y lit la description percutante d'une société divisée entre Stables, Souilles et Frange ; la mécanique implacable de la chute d'une famille dans la pauvreté ; les mécanismes de défense et de survie pour ne pas sombrer, l'impact direct de la fonte des glaces...Ces chapitres sont l'occasion de quelques paragraphes percutants sur l'inaction climatique, très en avance sur leur temps (encore une fois, 1987 !)


Par la suite, l'histoire s'engonce un peu dans les actions des différents protagonistes, leurs histoires, leurs liens et où cela les conduit. On aura même parfois la même scène racontée du point de vue de deux personnages différents. Il en résulte quelques longueurs. Le roman reprend de sa verve vers la fin.


Ai-je passé un bon moment avec cette lecture ? Pas toujours, essentiellement du fait de la dureté de ce qui y est raconté, montré. Est-ce que je recommande cette lecture ? Oui ; il est assez déroutant de voir l'actualité de ce récit aujourd'hui.

GuillaumeJ90
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le 28 avr. 2024

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