J'aime beaucoup Joann Sfar, que ce soit en bande dessinée (avec entre autres l'incontournable "Chat du Rabbin") ou en film (THE claque avec "Gainsbourg, vie héroïque"). "L'Eternel" est son premier roman. Autant le dire tout de suite: "Vivement les autres!!!".
Comme je l'ai si finement laissé entrevoir, j'ai vraiment été très enthousiaste à la lecture de ce roman et celle ci étant encore fraîche, je vais essayer de ne pas trop me laisser porter par mon engouement dans ce billet. Ca va être dur!
Tout commence avec l'histoire de 2 frères, Ionas et Caïn, partis à la guerre. Résoluement différent dans leur façon d'être et de voir la vie, suite à une attaque ennemie, ils vont chacun avoir un destin bien particulier. L'un, coureur de jupons, va devoir épouser la promise de son défunt frère, l'autre va devenir "éternel". C'est ce dernier, Ionas, que le lecteur va suivre sur plusieurs centaines d'années. Désarçonné, il va devoir apprendre à "vivre" sa nouvelle condition. Qu'est-il vraiment? Que va devenir son quotidien? Comment va-t-il faire le deuil de sa vie passée? Sera-t-il seul jusqu'à la fin des temps?
Dès les premières pages, on reconnait bien la patte de Sfar, nous entrainant entre rêve et réalité, entre conte noir et monde actuel... Le lecteur est trimballé dans un univers de fiction très rythmé et visuel. Au fur et à mesure de la lecture, des tas d'images défilent dans sa tête. M'est avis qu'il pourrait y avoir une adaptation de ce roman. Par Sfar himself, là ça serait le pied!
En distillant son humour décallé à la fois tendre et cru (mais jamais vulgaire), il fait de son histoire de créatures fantastiques un monde foisonnant où chaque personnage a son intérêt propre et auprès duquel le lecteur aime déambuler. Vampires, loups-garous, mandragores, hommes-poissons et savants fous hantent gentiment ses pages. Attention tout de même, "L'Eternel" est loin d'être un livre pour enfants! Les personnages sont drôles mais leur nature reste sombre et certaines de leurs idées ou certains actes peuvent être considérés comme violents. Ca charcute sévère par moment et c'est ce côté jusqu'au-boutiste, cette fidélité de l'auteur à lui-même, qui ont su me charmer.
On retrouve des thèmes chers à Joann Sfar tels que la judaïté. Ionas, avant d'être vampire, était (et demeurera) juif. S'en suivent des cas de conscience, des questionnements et toute une Histoire qu'il partage avec Rebecka, sa psychanalyste dans la seconde partie du roman (oui parce que les vampires peuvent suivre une thérapie... si si...). On retrouve aussi tout l'univers fantastique qu'il chérit et certains se lasseront peut être de retrouver ses formules habituelles. A mon sens, le roman est pour lui un nouveau support qui laisse à chaque lecteur la liberté de se créer sa propre image de l'histoire proposée et ici plus que dans la BD ou le ciné, son imaginaire est mis à contribution. C'est par les mots cette fois ci que Sfar doit convaincre et, bien qu'assez surprise au départ par son écriture, je dois dire qu'au final j'ai été assez conquise. Alors c'est sûr, Sfar n'est pas à l'Académie Française, ce n'est pas un grand écrivain mais il a sû me faire voyager et me scotcher pendant 500 pages et je ne lui en demandais pas plus.
"L'Eternel" n'est pas un roman bit-lit, même si on y parle d'amour aux détours des pages. Ce n'est pas non plus ni un roman horrifique ni une parodie malgré l'humour bien présent ici. Sfar a sû nous livrer un roman ovni au frontière de tous ces genres sans pour autant rentrer dans une catégorie bien définie. Peut être que "conte fantastique pour adultes" serait le plus approprié. En tout cas, ce fut une belle surprise pour moi!
Sfar est décidément un artiste qui fait de tout ce qu'il touche une oeuvre de grand talent. Je vous le recommande donc chaudement (mais ça je crois que vous l'aviez déjà compris).