Avec sa structure courte et simple, son intrigue relativement peu développée et ses personnages peu nombreux, on pourrait classer L'Eternel mari parmi le genre de la nouvelle et surtout laisser croire qu'il n'est qu'un sous Dostoïevski ; ce serait faire fausse route car ce qui est bien un (court) roman mérite plus d'attention et se classe parmi les bon livres de l'auteur russe, à défaut d'être parmi les meilleurs.
L'intrigue a beau être simple (une confrontation entre un mari trompé pendant de longues années et un amant passé à autre chose bien malgré lui) et moins propice que d'habitude chez le génie russe à brasser moult thèmes métaphysiques, elle n'en reste pas moins encline à quelques beaux moments d'introspection chez Veltchaninov (l'amant) et quelques examens de conscience comme seul maître Fedor en a le secret. Et si la narration se place moins du côté de Pavel Pavlovitch, elle n'en oublie pas moins de nous dépeindre un personnage au caractère brutalement bouleversé, avec toutes les conséquences que cela implique sur les émotions et les humeurs du bonhomme. L'alcoolisme, la mort de sa femme puis de sa fille, la relation haine/amour qu'il entretient avec l'amant sont autant de motifs de voir cet éternel mari se comporter étrangement, mettant dans l'inconfort son interlocuteur.
C'est d'ailleurs dans un premier temps la grande force de ce roman, mettre en exergue la tension et la suspicion qui découle de l'approche du mari dans la vie de Veltchaninov puis son intrusion et les premiers face à face qui en découlent. La curiosité malsaine se chargera de faire le reste, tout comme les insinuations de l'ivrogne et le personnage de Lisa dont le mystère de la réelle paternité est magnifiquement bien présenté. On retrouve là le style de Dostoïevski, qui même dans un drame purement social, moral, parvient à créer une atmosphère de roman policier, où les cas de conscience semblent être ceux de personnes inculpées de meurtre.
Au delà de cette opposition entre deux personnages qui donnent droit à des moments hallucinants, il y a des personnages secondaires toutefois moins intéressants car moins développés comme les Pogoréltzev, Alexandre Nobov ou la jeune Nadia. C'est d'autant plus dommage que cette dernière aurait pu faire le soin d'un chapitre entier tant elle constitue un personnage au potentiel intéressant qui aurait pu se révéler sous la plume de l'auteur. Globalement, l’œuvre entière aurait pu être développée, épaissie et plusieurs aspects de l'intrigue ou plusieurs personnages auraient pu être traités plus en profondeur. Il y avait matière mais peut-être Dostoïevski n'en jugeait-il pas l'utilité ?
Il est toutefois bon signe que le lecteur en redemande et cela prouve toute la qualité de L'Eternel Mari, roman à la psychologie encore une fois remarquable, au rythme frisant la perfection (chapitres courts, description quasi absentes) et qui propose ces fameux moments de tension, de fièvre aussi même si cela est plus mesuré que dans d'autres livres de l'auteur, qui nous font adorer le travail de l’écrivain russe.