Il y a bien de l'anticipation philosophique, de l'horreur, du décadentisme victorien dans ce petit opus vite écarté car lu trop vite. Parfois trop tôt.
On lit deci-delà que cette nouvelle est pour enfant. Ah, mais justement ! Les enfants sont bien les Dr. Jekyll et Mr. Hyde les plus patentés. Piétinant leur camarade puis adressant un sourire charmant.
Mais le lecteur, ce monstre impuni, lui, sait trouver sous le glacis de la nouvelle sa nourriture spirituelle.
L'histoire ? Mais il n'y en a plus. Evaporée. Comme pour Frankenstein : on le lit nécessairement en connaissant la fin, le dénouement.
Qu'importe : ce qui importe ici est la finesse du cas psychologique.
Car il ne s'agit pas d'un quelconque conte fantastique à la Poe ou la Hoffmann, ni du cas pathologique de Nerval, ni de la boutade rimbaldienne selon laquelle « Je est un Autre ». Ici l'irrationalité du mal incarné dans Hyde se trouve dans un équilibre ambigu dans la conscience du Dr. Jekyll : si la religion plane encore (mais comment être Caïn ET Abel, Jacob ET Esaü ?), c'est comme un faible garde-fou face à l'abîme de la question du Mal. Moralité d'une époque nihiliste, c'est là la psychologie de souterrains qu'explorent en même temps Nietzsche et Dostoievsky dans laquelle se plonge Stevenson dans ce court cauchemar.
Ainsi l'impossibilité du Docteur d'être totalement lui-même dans la société victorienne l'amène à la crise, mais aussi à chercher plus loin une explication, une sortie, une métamorphose. La morale et la rationalité se fissurent. Il n'y a qu'à observer avec attention ce dont il est question dans l'étrange dédoublement du Dr. Jekyll :

« … l'homme n'est pas un, mais bien deux. Je dis deux, parce que l'état de mes connaissances propres ne s'étend pas au-delà. D'autres viendront après moi, qui me dépasseront dans cette voie ; et j'ose avancer l'hypothèse que l'on découvrira finalement que l'homme est formé d'une véritable confédération de citoyens multiformes, hétérogènes et indépendants. »

Ah ! Quelle Grande Oreille ne se dresserait pas à la lecture de ces lignes ?
Car la « médecine transcendantale » du Dr. Jekyll, qui tient à des poisons et frôle les sciences occultes pour atteindre le royaume invraisemblable de la psyché, trouvera une belle incarnation chez Freud, se rêvant (plus qu'inconsciemment) un nouveau Dr. Jekyll ; ce, avant que Deleuze, prenne le parti du Jekyll originel, reconnaissant la part de Mr. Hyde et dont il fera la généalogie (en somme : la schizo-analyse de "l'Anti-Oedipe" et "Mille Plateaux" est là dans ce peuple grouillant dans l'individu).
Et ce n'est pas tout, sur le plan de l'écho philosophique on peut rajouter en sus de Freud et de Deleuze, Derrida, pour toute la déconstruction des dualismes moraux et intellectuels qui sourdent dans le récit de Stevenson. Un récit fantasmatique, dont l'hallucination continue de hanter les générations de cinéastes et l'imaginaire collectif, gros d'une infiltration inconsciente et se fait riche d'une postérité ignorée des héritiers eux-mêmes.
Athanase-D
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le 11 sept. 2012

Modifiée

le 15 sept. 2012

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