Un livre qui vaut le détour, mais difficile à juger "objectivement". Déjà parce qu'il compte trois parties, chacune assez différente.
Ensuite parce qu'il sera certainement diversement apprécié selon ce qu'on y cherche : poétiquement ça n'est pas le livre du siècle, ni même de la décennie. Narrativement, c'est une resucée des évangiles donc les rebondissements ne sont pas au rendez-vous pour tout le monde. Spirituellement, ce sera peut-être mièvre pour certains, hérétique pour d'autres... Je reviens plus loin sur ce que ma petite subjectivité en a pensé.



Première partie : un cinquième évangile, narré par Jésus



Les 80 premières pages sont une longue analepse où Schmitt nous donne accès au for intérieur de Jésus, à l'agonie au jardin des Oliviers. Sur le point d'être arrêté et crucifié, Jésus voit donc "défiler sa vie". Son enfance, sa spiritualité qui se révèle, le début de sa vie publique (de 30 à 33 ans) et ses atermoiements face à son rôle controversé de Messie. C'est l'occasion pour l'auteur d'écrire un "5e évangile", réécriture romancée de ce que les quatre évangiles canoniques nous disent de Jésus. La qualité de cette première partie tient à sa narration autodiégétique (à mes souhaits) : le narrateur est le héros de son récit. Donc Jésus nous conte lui-même sa vie, à la première personne, en introspection. Quoi de mieux pour avoir un goût de la nature humaine de celui qu'on proclame vrai Dieu et vrai homme ?



Deuxième partie : l'enquête de Pilate



Ce n'est pas un évangile au sens courant qu'a pris le mot (récit de la vie de Jésus), mais bien dans son sens grec : "euaggélion", "bonne nouvelle". C'est le récit de la rencontre progressive d'un homme, militaire romain, écœuré par les Juifs et la Palestine, rationnel (cartésien, si vous me passez l'anachronisme), avec le cœur du message chrétien : la non-puissance par amour, jusqu'à la mort, l'abaissement divin dans l'incarnation, triomphant dans la résurrection. Autrement dit, Schmitt se sert de la figure de Pilate, dont on sait peu de choses historiquement, pour méditer le mystère de la Résurrection de Jésus.
Deuxième narration donc (160 pages), qui reprend là où la première s'arrête, la mort de Jésus étant le pivot du livre. Une narration aussi subjective que la première, menée sur le mode épistolaire : jour après jour, Pilate écrit à son ami Titus pour s'épancher de son enquête qui piétine. Le corps de Jésus a disparu, mais on ne l'a visiblement pas volé. Il n'y a pas non plus de sosie. Jésus n'a pas pu survivre. Et pourtant, il parcourt la Palestine ?



Troisième partie / postface / FAQ / méditation de l'auteur



Pour écrire une troisième et dernière partie (40 pages) à ce livre Schmitt prend comme matériau sa propre expérience d'écriture de ce roman. Tantôt aphorisme, tantôt clarification sur son intention concernant tel aspect, ou encore mise en mots de son expérience d'écrivain (mentir à son éditeur, perdre son manuscrit, méditer avant d'écrire, avoir peur de changer de genre...).



Mon avis parfaitement subjectif



J'ai aimé, mais pas fortement, ou pas uniment (la faute à je ne sais quoi d'ailleurs).


Chrétien, j'ai apprécié le côté vivifiant de l'exercice : redécouvrir des récits qu'on écoute parfois trop mécaniquement, être interrogé, retrouver le sens du mystère. C'est une ambition avouée de l'auteur (cf. partie 3) et je trouve qu'elle est plutôt réussie. Particulièrement grâce à la 1ère partie.



... la finalité de mon livre : rendre vivant, proche, intime, ce Jésus dont la figure est délavée par des siècles d'imagerie, dont la parole ne résonne plus que comme un refrain éculé [...] Si j'interroge mes contemporains, Jésus est un inconnu célèbre : il n'est plus ni un Dieu, ni un homme.



Comme expérience de lecture, c'est agréable. Même parfois assez prenant. Le fait de changer trois fois de narration évite de s'enliser. Si on aime moins l'une, on a des chances de se rattraper sur les autres. Le style est facile, il y a quelques trouvailles sympathiques (la description de Jérusalem par Pilate qui ouvre la partie 2 est expressive).



Même le soleil, au-dessus de ces remparts, a des airs de traître. Tu ne peux pas croire que c'est le même astre qui brille sur Rome et rôde sur Jérusalem. Celui de Rome produit de la lumière, celui de Jérusalem attise l'ombre : il crée des coins où l'on complote, des allées où les voleurs s'enfuient, des temples où le Romain n'est pas autorisé à poser le pied.



Ou encore



Cette entêtante odeur de graisse brûlée [des sacrifices de la Pâque] peut faire croire que toute la ville elle-même rôtit sur un brasier, offerte en sacrifice à ce dieu goulu.



Je me serais passé d'autres choses : p.ex. des petits crochets dans le vulgaire ("pute", "emmerde", "je lui colle au cul" et autres) de la partie 2 qui, à être trop fréquents, deviennent artificiels. Pour forcer le trait d'une rupture avec la partie 1 ? On a plus l'impression de lire un contemporain lambda qu'un préfet romain (mais c'est peut-être l'effet désiré ?).


Outre la paraphrase de la Bible, il y a tout de même création originale. Et si par là-même Schmitt perd en orthodoxie (voire en pertinence), il gagne en intérêt littéraire. Les inventions concernant l'enfance de Jésus, le rôle de Salomé (fille d'Hérode) ou l'irruption du philosophe cynique Cratérios m'ont plutôt plu. Le profane gardera à l'idée que le biblique authentique est mêlé à l'apocryphe de Schmitt.


Concernant le contexte, Schmitt a fait ses devoirs semble-t-il. Il y a de petites références historiques et théologiques qui amuseront ou aiguillonneront ceux qui sont déjà versés dans ces voies, et donneront aux autres matière à penser, voire l'envie de creuser.


La troisième partie est intéressante. J'envisageais d'abord de ne pas la lire du tout, me disant que je m'épargnerai volontiers l'égotisme des écrivains. Mais j'ai finalement aimé cette partie car on y trouve une sorte de profession de foi / déclaration d'intention. Schmitt s'y explique sur ses choix d'écriture, d'invention... Et c'est au minimum intéressant.


Bref, Schmitt prétend que Jésus a fait le pari de s'accepter Messie. Moi, j'ai fait le pari que Schmitt était de bonne foi et qu'il ne versait pas dans l'égotisme ou le l'hameçonnage commercial. En adoptant une présomption d'innocence, j'ai passé un bon moment littéraire, qui en plus m'a titillé spirituellement. À mon sens, ça vaut donc le détour. D'ailleurs, j'imagine que ce livre pourrait en impressionner d'autres plus que moi. Essayez, vous verrez bien :)

LFBuete
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le 17 déc. 2021

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