L'Événement
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L'Événement

livre de Annie Ernaux (2000)

Je sais aujourd’hui qu’il me fallait cette épreuve et ce sacrifice pour désirer avoir des enfants

Pour beaucoup, les sixties évoquent une sorte d’âge d’or, un paradis perdu : celui de l’insouciance et de l’optimisme, de l’hédonisme et de la libération sexuelle. Pourtant, comme tout mythe, celui-ci contient sa part de mensonge. Non, les années '60 n’ont pas été pour tout le monde ce long fleuve rock'n roll de jouissance effrénée et sans contrainte. Si c’est ce que vous pensiez, vous risquez de recevoir ce livre comme un coup de poing.


Comme le disait Beauvoir, on ne naît pas femme, on le devient. Pour la narratrice, la prise de conscience de sa féminité passera par un avortement clandestin, vécu comme une véritable épreuve initiatrice. Une fois enceinte sans l’avoir désiré, elle subira la loi des hommes qui, en ce début des années 60, décident encore pour les femmes. Ses amies, effrayées, sympathisent sans pouvoir véritablement l’aider. Certains de ses copains de fac lui font la morale (tuer, c’est mal), d’autres des propositions salaces (après tout, elle déjà couché). Mention spéciale aux médecins qui, au mépris de leur serment d’Hippocrate, la laisseront aux mains d’une faiseuse d’anges, sachant qu’elle risque la septicémie ou la stérilité. C’est que, dans cette société pétrie de morale rigide et de puritanisme, toute personne qui favorise l’interruption de grossesse est passible de poursuites pénales. Rien ne nous est épargné des détails sordides de l’avortement, de la douleur physique, de la détresse morale. Tout est narré simplement, sans trémolos ni sentimentalisme, avec le détachement que confèrent à la narratrice les 35 années qui se sont écoulées depuis les faits.


Il aura fallu tout ce temps à Annie Ernaux pour trouver le courage de relater son expérience et, de février à octobre 99, elle mettra neuf longs mois à accoucher de ce récit bouleversant. Un témoignage unique qui nous fait prendre la mesure du chemin accompli par les femmes pour obtenir le droit de disposer de leur corps et qu’il est plus que jamais urgent de découvrir, à l’heure où, dans certains pays occidentaux, d’aucuns rêvent de remettre en cause les acquis féministes.

No_Hell
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le 6 avr. 2016

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No_Hell

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