«Si nous cherchons quelque chose, le labyrinthe est l’endroit le plus favorable à la recherche.» Orson Welles, en exergue.
L’impression d’irréalité et de fascination qui nimbe toute l’œuvre de Pierre Cendors happe le lecteur dès ce premier roman, paru en 2006 aux éditions Finitude, une biographie ébauchée au travers de quatre nouvelles du poète pragois Endsen, poète secret ayant évolué durant son existence «dans un cercle d’invisibilité», et dont l’œuvre est devenue légendaire.
«Peu ont connu Endsen de son vivant.
Ceux qui l’ont fréquenté, morts aujourd’hui, ont conservé le silence jusqu’au bout. Le poète avait depuis toujours échappé à l’attention des biographes.»
Ecrivain aux identités fluctuantes, homme traqué, dissident clandestin du régime tchèque impliqué dans un procès politique qui plonge le lecteur dans un univers kafkaïen, Endsen apparaît comme un homme à l’identité fragmentée, dont on a perdu la trace depuis l’invasion de la Tchécoslovaquie, le 21 août 1968.
Sa disparition mystérieuse, dont la date et les circonstances elles aussi fluctuent, prend à chaque récit l’allure d’un recommencement, dans un au-delà qui est sans doute celui de la fiction.
«Tout porte à croire que j’ai été son seul confident. Pendant plus de trente ans, ses lettres me sont parvenues à la même adresse. Les périodes de silence alternaient avec des missives de plusieurs pages. La plupart provenaient de l’étranger, certaines de pays qui n’existent plus aujourd’hui.
Elles constituent un témoignage unique pour qui veut comprendre quel homme était réellement Endsen : «L’homme caché», comme on l’avait surnommé d’après le titre de son premier roman ou le poète visionnaire de L’eau-de-là ?
Là n’est pas l’essentiel. Ses premières lettres datent de son entrée au pensionnat. J’ai reçu le dernier document écrit de sa main en avril 1991, soit six ans après sa mort présumée, à Prague. Son contenu ne laisse plus de place au doute. Son séjour à Prague ne mit pas un point final à son cheminement. Bien au contraire, il lui ouvrit le passage vers un nouveau départ, une nouvelle vie, une nouvelle destination. Si de nombreux chercheurs nous ont restitué dans le détail l’errance de Rimbaud à Aden, la quête mystique d’Artaud en Irlande, aucun pourtant n’a jamais percé l’énigme de l’ultime destination d’Endsen. L’a-t-il voulu ainsi ? Personne ne discute plus aujourd’hui son droit à l’anonymat. Pas d’interviews, pas de photos ; tous les deux ans environ, une nouvelle publication, un événement publicitaire auquel il ne participerait naturellement pas : Endsen avait choisi sa vie.
Son œuvre a été sa vie.
C’est pourtant de ses derniers pas dont j’aimerais parler. Avant que tout ne disparaisse.
Avant que le temps de le suivre dans son dernier voyage ne vienne.»
Effets d’échos entre les quatre récits, incertitudes subtilement entretenues, contamination du réel et de la fiction, le pouvoir de fascination pour Endsen et son œuvre semble refléter en abyme le vertige qu’on éprouve en découvrant l’œuvre de Pierre Cendors, un œuvre qui fait monde, au cœur puissant et insaisissable.
Pierre Cendors sera l’invité de la librairie Charybde (129 rue de Charenton, 75012 Paris) le 1er octobre 2015 à 19h30.
Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/09/29/note-de-lecture-lhomme-cache-pierre-cendors/