L'erreur de Nietzsche
S'il fallait établir quelle fut, au sens total du terme, l'erreur de Nietzsche, ce ne serait pas sans un triste cynisme que nous évoquerions la troisième dissertation, pour répondre que c'est...
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le 5 janv. 2023
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Alexis Carrel, figure de proue de l'eugénisme en France, n'est pas un auteur à aborder pour l'homme médiocre, empreint d'une excessive sentimentalité, entretenue dans la société par les acteurs même du déclin, notamment à travers le prisme du familiarisme. Il tient en effet d'aborder les raisons qui ont poussé, au delà du lien clairement établi avec le nazisme, à discréditer l'ensemble des thèses eugénistes[1], avant d'entrer en profondeur dans l'œuvre de l'auteur. Le premier point, nous l'avons déjà mentionné, c'est cette tendance traditionaliste qui accorde un poids essentiel à la famille, et refuse par ce seul attachement, de procéder à une élimination rationnelle des anormaux, quoiqu'elle contribuerait au bonheur des normaux (en supprimant une source de contrainte évitable) comme des anormaux (faute d'adaptabilité). Le second point lui est fondamentalement lié, c'est la peur de devenir soi-même anormal, et par extension, la peur de la mort, qui fait abominer l'eugénisme ; ce à quoi on peut rajouter la compassion comme transfert de cette peur chez autrui. Le troisième point suppose des conditions arbitraires pour distinguer les anormaux des normaux, favorisant la suppression de tout opposant aux acteurs d'une telle doctrine. Ainsi esquissons-nous le contour des arguments contre l'eugénisme (négatif).
Entrons dans l'ouvrage du célèbre chirurgien en commençant par louer la pertinence de l'auteur dans ses observations et ses remarques. En effet, comment ne serait-on pas raisonnablement d'accord avec les affirmations suivantes : « Les individus normaux sont accablés par le poids de ceux qui sont incapables de s'adapter à la vie », « Les sciences sociales sont incapables de résoudre même les plus simples des problèmes humains », « Ce sont surtout la faiblesse intellectuelle et morale des chefs et leur ignorance qui mettent en danger notre civilisation » ? À côté de cette lucidité, Carrel partage son savoir sur les connaissances scientifiques contemporaines de l'homme, critiquant par ailleurs la faiblesse de l'état des sciences vivantes par rapport aux sciences inertes : « L'énorme avance prise par les sciences des choses animées sur celles des êtres vivants est donc un des évènements les plus tragiques de l'histoire de l'humanité. »
La vision eugéniste de l'auteur apparait en filigrane dans son œuvre, elle n'est finalement que partiellement étayée et repose davantage sur des préjugés que sur une vision objective de l'homme et de la société. Il accorde une telle attention à l'hérédité que l'on comprend assez mal comment il la concilie à la volonté, à la possibilité concrète de « reconstruire l'homme » devant l'inéluctabilité de sa dégénérescence. Son silence devant la nécessité impérative de définir les abstractions essentielles comme l'intelligence nous interroge sur la réelle perspicacité de l'auteur. Il n'est pas philosophe et le revendique dans les premiers mots de la préface, et en effet, on perçoit rapidement le manque d'un système cohérent pour aborder l'être humain (comme idée platonicienne, ainsi qu'il le conçoit). En effet, comment allier eugénisme et morale ? Il est indispensable de se défaire de toute morale avant d'entreprendre de rationaliser les individus, sans quoi il est tout à fait justifié de la part des détracteurs de pointer l'imposture de la pensée de l'auteur.
Pour résumer l'ouvrage, nous pouvons sans doute avancer que le chirurgien comprend la pente décliniste sur laquelle s'est engagée l'humanité, il en donne un portrait juste et résonnant de plus belle à l'aune du XXIème siècle devant l'abrutissement des jeunes (« Les écoliers et les étudiants moulent leur esprit sur la stupidité des programmes radiophoniques et cinématographiques auxquels ils sont habitués »), l'oisiveté des riches, la faillite de la médecine (« si tout le monde vivait jusqu'à 90 ans, le poids de cette foule serait intolérable pour le reste de la population »), l'essor des idéologies progressistes comme le féminisme (« entre les deux sexes, il y a d'irrévocables différences. Il est impératif d'en tenir compte dans la construction du monde civilisé ») et la défaillance de la démocratie (« la standardisation des êtres humains par l'idéal démocratique a assuré la prédominance des faibles »). Cependant, il ne propose aucune solution pour remonter cette pente malgré un dernier chapitre sur « la reconstruction de l'homme », il se contente de balbutier un idéal dans la création d'une organisation privée de scientifiques qui, elle, saura comment réagir grâce à une meilleure compréhension de l'homme.
[1] Nous n'introduirons que les raisons contre l'eugénisme négatif, absolument contraire à toute morale, pour réduire les arguments.
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le 23 juil. 2022
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