À l’été 1979, une série de meurtres agite la bourgade californienne au pied de la montagne où habitent les sœurs Rachel et Patty, treize et onze ans. Mais plus que d’un polar au sens strict, il s’agit ici d’un roman d’initiation : la relation de deux sœurs et la puberté de celle qui raconte sont au centre du récit. Le corps qui change (1), la mère qui déprime, le père qui descend de son piédestal de héros pour devenir un tocard pathétique, tout ça, tout ça… Les deux sœurs se la jouent enquêtrices à l’occasion, mais n’est pas le Club des cinq qui veut.
En fait, le roman de Joyce Maynard est le parangon du roman-US-psychologique-policier-dans-lequel-la-violence-couve, et c’est peut-être là le problème : le roman est très bien construit, la machinerie très bien huilée, mais rien ne résiste, ni dans l’enquête policière, ni dans l’exploration psychologique. Comme tout finit par s’expliquer, par être résolu, on pourrait dire qu’il y a le même genre de différence entre l’Homme de la montagne et l'Attrape-cœurs qu’entre un film de David Lynch et une saison de, mettons, NCIS. Prenons un passage tel que « Par une étrange coïncidence, quand la série de meurtres avait débuté, les filles ne parlaient que de leurs premières règles et, d’une certaine façon, ces deux drames – les assassinats et la particularité dont je souffrais [l’absence de règles] – étaient liés dans mon esprit. Comme si la fertilité était porteuse de danger » (p. 196-197 en « 10-18 »). C’est-à-dire que pour le lecteur qui n’aurait pas compris la portée symbolique de la réalité évoquée par la première phrase, la deuxième vient l’éclairer.
Même les passages qu’on pourrait qualifier de méta-littéraires – la narratrice devenue plus tard écrivain – sont rendus inoffensifs, comme s’il s’agissait non pas d’interroger l’acte d’écrire, mais de ramasser toutes les balises une fois la course d’orientation terminée. Toute ambiguïté sur le pouvoir de la fiction, par exemple, est dissipée d’entrée : « Ma sœur et moi espérions toujours connaître des événements excitants et, si le monde ne nous les procurait pas, nous les fabriquions. Des histoires si réelles que nous finissions par y croire. / Et, un jour, un tel événement s’est produit, bien sûr. Alors, nous avons souhaité qu’il ne soit jamais arrivé » (p. 64).
À la fin, les gentils gagnent, mais dans mes souvenirs c’est une victoire à la Pyrrhus.
(1) De même que le monologue est un passage obligé de la tragédie française du XVIIe siècle, j’ai l’impression que l’évocation des (premières) règles de l’héroïne est un incontournable du roman féminin occidental du XXIe.