La vérité d’un attentat n’existe pas pour elle-même, elle a juste à être éprouvée, et il s’agit de cette angoisse frisant l’inaudible que l’on peut ressentir dans les articulations sémantiques de L'Homme qui tombe, à la fois courtes et limpides, elles caractérisent le roman de Don Delillo. Ce morcellement de la perception, cet éclatement des certitudes, venant paradoxalement souligner toute présence à soi. La pure négativité chaotique froissant quant à elle chaque sensibilité, par ce cortège de déformations imagées, qui mettent en relief les petites servitudes jusque là sous-évaluées. Auto-extinction des normes via implosions, ouvrant une béance illimitée dans les esprits, béance pourtant chargée de limites létales fixées aux êtres et aux objets. Une lutte à mort menée par les protagonistes en vue de poursuivre leurs destins respectifs s’étale au fil de pages efficaces comme un uppercut de Tyson, DeLillo déploie sa prose rapide, qui bourgeonne de condensés granuleux et incarnés formant des gerbes d’hyperréalisme, charriant l’infection virale de l’essence catastrophique insinuée en chaque parcelle moléculaire d’un monde définitivement bouleversé.
Un bon roman doit réaliser une forme de translittération de l’impossible, de l’indicible, et c’est à cette mission impérieuse que s’est attaché l’auteur. Mission réussie.
"-Dans les endroits où ça arrive, les survivants, les gens à proximité qui sont blessés, quelquefois, des mois plus tard, ils ont des grosseurs, disons, faute d'un autre terme, et on s'aperçoit que ça vient de petits fragments minuscules du corps du kamikaze. Le terroriste explose en morceaux, il est littéralement atomisé, et les fragments de chair et d'os sont projetés à une telle vitesse et une telle force qu'ils heurtent les gens qui se trouvent à proximité et s'enfouissent dans leurs corps. Vous imaginez ? Une étudiante s'est assise dans un café. Elle survit à l'attentat. Et puis, des mois plus tard, on découvre ces petites, quoi, ces esquilles de chair, de chair humaine, qui se sont incrustées dans la peau. Des shrapnels organiques, qu'on appelle ça."p.24, Ed Actes Sud, 2008.