Après un an d’infiltration à très haut risque, le journaliste juif américain Jacob Dreyfus réussit à faire tomber une milice suprémaciste dont l’influence néfaste rayonnait jusqu’au plus haut niveau du Capitole. Lui-même étant descendant de déportés, le combat lui tenait à cœur plus que tout – mais il doit hélas en payer très vite le prix fort.

Dix ans plus tard, réfugié en France sous le régime de la protection des témoins, il voit la violence le rattraper à nouveau. Acharné à découvrir la vérité sur ceux qui s’acharnent à le détruire, escorté par Solane, vieux flic à la retraite, garde du corps et ami fidèle, Jacob entreprend de remonter une piste tortueuse dont il n’imagine pas une seconde les origines ni les implications…


Jérémie Claes est un caviste belge. Deux mots qui suffisent à camper le bonhomme : bon vivant, généreux, rayonnant d’énergie. Si vous l’imaginez comme cela, vous avez tout bon. Et son premier roman est à son image, en tous points.

Bon vivant – on y mange et on y boit beaucoup, toujours avec le souci de la qualité des mets comme des vins. Généreux – c’est un thriller gargantuesque, surpuissant, audacieux et décomplexé, qui ne craint pas de pousser son intrigue très loin. Rayonnant d’énergie – si Jérémie Claes sait ménager temps forts et faibles, le suspense ne se relâche jamais, propulsé tout au long de ses 464 pages par un sens du rythme implacable et un style survitaminé.


Indirect, libre


Le style, arrêtons-nous un instant dessus. Si le résumé m’a donné envie d’ouvrir le livre, c’est l’écriture qui m’a poussé à m’y plonger sans relâche. Les premières pages, pourtant, surprennent par leur apparent laxisme lexical, voire leur vulgarité. Et pour cause : elles nous jettent dans le sillage nauséabond d’un suprémaciste blanc bête et méchant (pléonasme), et épousent donc son niveau d’éducation et de langue. Les quatre premières pages qui le concernent sont un exemple d’introduction, fonçant tête baissée dans l’action et dans le sujet du roman en harponnant le lecteur au passage.

Par la suite, Jérémie Claes s’amuse à varier systématiquement le style, le vocabulaire, le rythme et la composition de la phrase, en fonction du personnage auquel il attache sa caméra-plume. Il se révèle en virtuose du style indirect libre, qui permet de s’immiscer dans la tête du personnage en épousant sa personnalité par un registre de langue donné. Mine de rien, c’est très difficile à faire, surtout sur la longueur, mais le romancier belge ne relâche jamais son effort, et le résultat est là : son écriture est vivante, variée sans paraître foutraque, pleine de richesse et d’énergie.


Du cœur


Une autre grande force du roman, c’est son humanité.

Jérémie Claes est tout aussi soucieux de faire avancer son intrigue que de toucher son lecteur au cœur. Comme l’histoire qu’ils habitent, ses personnages sont généreux, profonds, à la fois spectaculaires et étrangement familiers, en dépit des aventures extraordinaires qu’ils traversent. C’est parce qu’ils sont si justes qu’on se met à trembler pour eux, à craindre pour leur vie. Surtout que l’auteur nous fait très vite comprendre que nul n’est à l’abri du désastre. Deux disparitions en particulier (je ne peux pas dire lesquelles, bien sûr, alors que je meurs d’envie d’en parler avec quelqu’un) sont dévastatrices, d’une cruauté insupportable – et pourtant il faut en passer par là, car ce roman s’intéresse précisément aux zones les plus sombres de l’âme humaine, dont les manifestations sont fatalement épouvantables.


Quant à l’intrigue, je n’en dirai rien de plus. Son mécanisme (le terme a son importance) est éblouissant, imparable, riche en surprises, en rebondissements, en scènes d’action mémorables, dans des décors souvent incroyables (Gourdon, la bodega argentine). Sur fond de références historiques avec lesquelles le romancier joue non sans audace, et de réflexions politiques d’une actualité brûlante.

Pour tout ça, et pour le reste, il y a Master Claes. Laissez-vous porter, il ne vous décevra pas.

En tout cas, pour ma part, je serai sans faute au rendez-vous de son deuxième roman, car la barre est placée très haut avec cet Horloger qui ne compte pas ses heures pour vous embarquer. Bref : coup de cœur !

ElliottSyndrome
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Lectures 2024 (liste évolutive)

Créée

le 27 avr. 2024

Critique lue 22 fois

2 j'aime

ElliottSyndrome

Écrit par

Critique lue 22 fois

2

D'autres avis sur L'horloger

L'horloger
JulieCordier
9

Critique de L'horloger par Julie Cordier

« L’horloger » est le premier roman du belge Jérémie Claes. Et pourtant, ce livre est une bombe ! Autant vous dire que pour un premier essai, il est réussi et même, très fortement réussi ! Bien malin...

le 8 mars 2024

Du même critique

Un jour ce sera vide
ElliottSyndrome
6

Du trop-plein pour conjurer le vide

Pour développer ce genre d'histoire, il y a plusieurs moyens. Soit on raconte ses propres souvenirs d'enfance et, à moins d'avoir vécu quelque chose d'absolument exceptionnel qui justifie un...

le 24 août 2020

15 j'aime

3

Équinoxe
ElliottSyndrome
10

Le trac

Après le succès aussi monstrueux qu'inattendu d'Oxygène (18 millions d'exemplaires vendus dans le monde, une bagatelle), il y avait un risque certain de voir Jean-Michel Jarre souffrir du syndrome de...

le 5 févr. 2020

11 j'aime

1

1492: Conquest of Paradise (OST)
ElliottSyndrome
10

Vers l'éternité

Estimer que 1492 est le meilleur album de Vangelis peut ressembler soit à une évidence, soit à une facilité. En terme de technique et de virtuosité, ce n'est sans doute pas le cas, d'ailleurs. De ce...

le 29 mars 2020

11 j'aime

3