Après la Seconde Guerre Mondiale, les familles en ruine se reconstituent tant bien que mal, essayant vainement de poser sur leurs cicatrices encore exacerbées les onguents désespérés de la réconciliation. Benoît Laborie, dont la famille vit dans la campagne profonde et qui aspire depuis sa plus tendre enfance à la vie parisienne, décide d'abandonner son épouse, Denise, ses enfants et sa mère pour tenter sa chance dans le Ville-Lumière. Mûrissant des projets magnifiques que sa mère lui avait insufflé par ses récits frénétiques, il débarque avec des espoirs immenses dans une ville qui l'est tout autant et qui se refonde dans la vie comme après s'être meurtri dans la mort. Pourtant, dans un hôtel minable, où les regards harcèlent les mauvais coucheurs ou autres infidèles, Benoît Laborie ne trouve que des reproches assourdissants, et tandis que ses connaissances parisiennes l'ignorent comme le symbole de l'insignifiance, qu'il se fait maltraité par une police qui ne le comprend pas, il se rend compte de l'inanité de son projet et retourne auprès de sa femme. Cependant, alors qu'il semble enfin avoir trouvé un sens à sa vie, Denise est assassinée par sa mère qui la croyait en plein adultère. De ce mélodrame improbable, la presse de fait des gorges chaudes, et voilà que la société parisienne accueille enfin Benoît Laborie en héros, grâce au meurtre de sa mère et la mort de sa femme. Héros de la société mondaine et moderne, il devient l'allégorie d'une entité plus grande que lui. Mais une fois le jugement passé, il retourne à ce qu'il a toujours été : un être absurde, un insignifiant, un figurant. Récit d'une ascension, et d'une déchéance.
Il est difficile de qualifier ce court texte de farce tant il ne dégage aucun humour. Il est difficile de le qualifier de satire car il n'a rien d'une critique sociale. C'est bien plus profond que cela. La tristesse et la dimension très métaphysique de ce dernier en font une sorte de conte de la folie moderne ainsi que de son absence de sens. Dans la droite ligne de l'absurdité classique post-deuxième guerre mondiale, Antoine Blondin signe un roman particulièrement édifiant qui ferait frémir l'échine de n'importe quel lecteur attentif. De la situation de l'homme moderne, l'auteur écrit ces lignes : *Artistes bien sur, comme tout le monde, mais artistes de complément, on n'exige rien de nous que cette minceur pelliculaire entre la présence et l'absence ; nous sommes là pour faire nombre. Tout ce qu'on nous demande c'est de ne pas bouger. Et pourtant, tels que nous sommes voilà dans ce wagon immobile, nous sommes ceux qui ont eu l'humeur vagabonde. C'est la nuit maintenant, manteau des déracinés. Sous la veilleuse qui veille quoi, la religieuse se prend à égrener son chapelet, le monsieur décoré se déchausse en douce, le pêcheur remaille son filet, le vieux jockey se sent le derrière entre deux selles, les archiducs s'endorment au garde-à-vous, Dolorès achève des lainages pour ses enfants qu'elle n'achève pas ... et moi j'attends que les communications soient rétablies entre les êtres. Un jour, peut-être, nous abattrons les cloisons de nos prisons ; nous parlerons à des gens qui nous répondront ; le malentendu se dissipera entre les vivants ; les morts n'auront plus de secrets pour nous. Un jour, nous prendrons des trains qui partent. *