...ou comment flatter mon ego (car oui, je suis gauchère)
C'est un livre que j'ai lu il y a déjà plusieurs années - je pense qu'il est abordable par tous, à partir de l'âge où l'on commence à avoir compris ce qui se passe dans un film pendant l'ellipse narrative qui suit un baiser langoureux.
Je le relis actuellement et je suis frappée par le style: efficace, il ne cherche pas à éblouir le lecteur en révolutionnant la forme du texte (certains diront donc qu'il n'a rien d'un "grand livre"). Cependant, il est indéniablement plaisant. L'auteur emploie des termes tout à fait désuets qui rendent bien compte du niveau de langage des personnages (par exemple, qui emploie encore de nos jours le mot "mirifique"?); il utilise un champ lexical du vocabulaire amoureux et grivois tout à fait surprenant (il doit bien convier, au bas mot, une vingtaine de verbes tous plus charmants les uns que les autres pour dire "faire l'amour"!).
Quant à l'histoire, c'est sans doute le meilleur atout du livre. Certains la trouveront mièvre. Des droitiers, sans doute ?
Si vous lisez cette critique, c'est probablement que vous avez déjà entendu parler du projet de ce livre, qui construit l'utopie d'une communauté basée sur le principe de l'amour conjugal.
Mais une citation vaut mieux qu'une périphrase. Voici donc: “le capitaine renard rêvait de fonder une colonie où les rapports entre les hommes et les femmes seraient la colonne vertébrale de l’organisation sociale, le souci majeur au regard duquel toute règle collective serait arrêtée. Notre utopiste, grand lecteur de Fourier et de Proudhon, voulait établir un ordre social où l’attention aux choses de l’amour et la recherche de la tendresse se substitueraient à l’agressivité, à l’initiative personnelle, à l’émulation économique, à l’instinct de possession - mobiles habituels de notre civilisation.” Il se trouve que ce capitaine renard est lui-même gaucher. Ainsi, "dans sa folie, il en était venu à penser qu'un monde de gauchers serait à même de jeter les bases d'une civilisation qui placerait l'amour au centre de l'existence."
Pourquoi pas ?
Aussi, afin de prévenir toute éventuelle critique de béotien: ne prenons pas forcément au pied de la lettre l'ostracisme des droitiers qui est au coeur du livre. Vous aussi, amis droitiers, j'espère que vous attachez du souci à la manière dont vous aimez ! Et, si j'ai parfois le sentiment qu'effectivement, je suis personnellement exceptionnelle, je ne crois pas que ce soit dû à la main que j'utilise pour écrire. Ne vous sentez pas exclus de cette utopie, amis droitiers ! De toute façon, si quelqu'un émet une telle critique, je lui dirais qu'alors il ne peut pas lire et apprécier Harry Potter, parce qu'il est moldu. Enfin, relativisons ce parallèle: ici pour le coup la toile de fond se donne comme réelle; ce n'est pas un monde fantastique: du coup, c'est bien une forme d'escapisme (checkez la page wikipedia anglaise de ce terme, à l'occasion) mais qui a pour but de nous faire réflechir sur la façon dont nous pouvons vivre (alors que perso, je ne sais pas comment bien vivre après avoir lu et relu les 7HP).
Nous pourrions ensuite débattre des différentes modalités sociales mises en place sur cette île des Gauchers, afin d'examiner leur pertinence, mais...ce serait vous gâcher le plaisir de la lecture des aventures de cet atypique Lord Cigogne débarqué là avec femme et enfants pour apprendre à aimer.