Échange de meurtres

Retour de lecture sur “L'inconnu du Nord-Express” le premier roman policier écrit par Patricia Highsmith et publié en 1950. Cette romancière américaine est particulièrement connue pour ses thrillers psychologiques dont un certain nombre, en plus de celui-ci, ont été adaptés au cinéma, entre autres “Le talentueux Mr Ripley/Plein soleil”, “Carol”, “L’ami américain” et “Eaux profondes”. Ce roman fait probablement l'objet de l’adaptation la plus connue puisqu’elle a été réalisée par Alfred Hitchcock, l’année qui a suivi la publication du roman, sur un scénario inspiré du livre mais qui diffère néanmoins sur de nombreux points. Pour ceux qui ont vu le film et qui s’en rappellent, le livre garde donc tout son intérêt, Hitchcock ayant revu le scénario pour l'adapter à son cinéma en rajoutant de nombreux éléments à suspens, cela au détriment de la psychologie des personnages beaucoup plus poussée dans le roman. Dans ce livre, comme souvent chez Highsmith, l’action est assez limitée et la tension dans ce récit est plus axée sur une angoisse continue et croissante que sur un réel suspens. C’était à l'époque une approche relativement novatrice du roman policier, le plus important n'étant pas le scénario mais la manière dont sont vécues les choses par les protagonistes. L’histoire est essentiellement basée sur la confrontation, tout au long du roman, des deux personnages principaux Guy Haines et Charles Anthony Bruno. Ils se rencontrent pour la première fois, par hasard, lors d’un voyage en train et en discutant, s’amusent avec l’idée d’un meurtre parfait commis par l’un pour l’autre et vice versa. Bruno propose ainsi à Guy de tuer son épouse et en échange Guy tuerait le père de Bruno. Guy ne prendra pas Bruno au sérieux, mais quand celui-ci tuera effectivement sa femme et lui demandera de remplir sa part du contrat qu’il n’a jamais signé, l’histoire basculera dans un affrontement continu entre ces deux hommes, ces deux volontés opposées. Ce sera une confrontation entre un homme à priori fou mais avec un côté fascinant et un autre homme sans caractère, qui n’a rien demandé à personne. Le scénario est plutôt original avec ce personnage de Guy entraîné dans le crime malgré lui. Pris dans une spirale très kafkaïenne, on assiste à son inexorable descente aux enfers. On vit au plus près de ses angoisses et de ses questionnements autour de la mort et du crime qui peu à peu gangrènent toute sa vie et l'empêchent de refaire surface. Highsmith à travers ces personnages, ces anti-héros, nous propose une réflexion très intéressante sur la notion de culpabilité et la dualité des êtres, des thématiques que l’on retrouve dans d’autres de ses romans. On l’aura compris, l'enquête policière est secondaire dans ce roman, mais on peut tout de même regretter qu’elle soit autant négligée. Vu le manque de rigueur et le niveau de légèreté avec lesquels Bruno organise ses visites chez Guy, n’importe quel policier sous-doué aurait été capable d'établir un lien entre les deux hommes. Malgré cela, même si j’ai globalement bien aimé le scénario du film pour son suspens et justement le traitement de la trame policière, celui du roman, malgré une fin qui manque clairement de souffle, reste tout de même beaucoup plus intéressant car plus subtil, étant basé essentiellement sur la psychologie des personnages qui est particulièrement travaillée. Ils sont souvent déviants, que ce soient les principaux ou les secondaires, et on est particulièrement impressionné par le couple toxique formé par Bruno et sa mère. On est dans l’Amérique prospère de l’après-guerre, avant le désenchantement de la fin des années 60 et Highsmith commence déjà à nous esquisser sa face cachée en abordant des thématiques taboues ou peu courantes à l'époque comme l’amour maternel malsain, l’homosexualité, la culpabilité ou la manipulation. C’est un roman très noir, bien plus que le film, mais très prenant et agréable à lire, avec une écriture très fluide. Dans une ambiance très années 50, l’auteure nous a livré là un roman très efficace, oppressant, qui, même s'il a un peu vieilli, reste un classique du genre qu’il faut avoir lu.

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“Il avait ôté la vie. Personne au fond ne savait ce que c’était que la vie, tout le monde la défendait, on disait que c’était le bien le plus précieux mais lui, il avait ôté la vie. Il avait éprouvé une impression de danger ce soir-là, de douleur aux mains aussi, de peur. Il craignait qu’elle ne fît du bruit, mais dès l’instant où il avait senti que la vie l’avait quittée, tout le reste n’avait plus compté, seul demeurait le mystérieux « fait » de l’acte qu’il venait de commettre, le mystère et le miracle d’avoir ôté la vie. On parlait toujours du miracle de la naissance, du commencement de la vie, comme c’était facile à expliquer ! On partait de deux cellules vivantes. Mais le mystère d’ôter la vie, ça, c’était autre chose !”