Auster nous rappelle indirectement aux vers de Hermann HESSE qui, dans Im Nebel, contemple l'apparente solitude des corps qu'enveloppe un épais brouillard. C'est dans les limbes de la mort, ou plus exactement de la survie à la mort d'autrui, que Paul Auster se perd dans le brouillard des souvenirs qui refont surface après la mort de son père ; il n'y a aucune direction précise à prendre, pourvu que l'on se souvienne. Relier des points sur une carte dans le temple d'errance qu'est devenue la mémoire : telle semble être la mission dont s'investit l'auteur-narrateur dans la première partie de L'Invention de la solitude. Un homme, corps vivant et influence sociale à la portée variable mais présente, meurt. Il devient alors souvenir et le cerveau humain, jamais résolu à associer ces deux états à la même image, affolé par le vertige et, en quelque sorte, attiré par le vide qui s'ouvre devant lui, se lance dans une course poursuite en tentant d'échapper à la chape de silence qui s'apprête à s'abattre sur toute une vie.


La seconde partie est celle d'une alternance entre construction et déconstruction. L'homme laissé derrière le défunt, le fils livré au reste de son existence regarde désormais le monde à la lumière d'une sensibilité exacerbée par la connaissance de ce qu'est l'Absence.


Cette sensibilité se perçoit à travers l'écriture d'Auster qui semble avoir voulu tatouer sur les pages de son livre la soif de conscience qu'a déclenché en lui la mort de son père. Semblant fuir l'idée d'une agonie immobile, il porte haut l'image du survivant et décrit avec brio la bataille contre l'incertitude qui se livre dans un cœur endeuillé mais demeurant curieux et avide de réponses. C'est finalement l'histoire du renouveau d'un homme qui nous attend tous tôt ou tard, et qu'il revient à chacun, un jour, d'écrire à son tour, quitte à bousculer ce que l'on a été.

promethee7
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le 19 nov. 2016

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