Je commence à découvrir l'œuvre de Ian Manook non par ses polars mais par son cycle arménien, véritable ode à sa culture familiale, témoignage érudit de l'histoire du peuple dont il est issu, enfin poignant cri d'amour et d'attachement à ses racines profondes. Cette rencontre fut un vrai coup de cœur.
J'ai dévoré ce premier tome, aidée en cela par le style impeccable, le rythme enlevé, le lexique soigné, l'équilibre respecté entre dialogues et descriptions, le chapitrage cadencé. Les personnages que nous propose l'auteur - qui ne cache pas en avant-propos le filigrane autobiographique du récit - sont fascinants de par leurs personnalités et leurs parcours.
1915, Anatolie. La Turquie ottomane organise le génocide du peuple arménien et déporte tout un peuple pour le faire mourir de soif, de faim, d'épuisement et de désespoir dans les déserts levantins. Plus d'1,5 millions de victimes... parmi lesquelles Araxie, grand-mère de l'auteur, et sa jeune soeur Haïganouch. Les deux fillettes de dix et six ans voient leur monde basculer en quelques secondes. Enfin, seule Araxie peut voir les atrocités perpétrées autour d'elle puisqu'un coup de sabre kurde a rendu Haïganouch aveugle.
Le lecteur, lui, assiste à tout - et encore l'éditeur a mis son veto sur deux scènes de massacre. Les descriptions du génocide, de la violence militaire et politique, des exactions de tout ordre sont difficilement soutenables, et c'est comme un geyser qu'on ne peut arrêter et qui exige du monde une reconnaissance officielle - le génocide arménien n'étant pas encore reconnu universellement. Près de trente ans avant le traumatisme de la Shoah, le massacre ethnique des Arméniens fait pourtant l'effet d'un sel brûlant sur une plaie à vif. Rétroactivement.
Ian Manook explique que par ce cycle arménien, il souhaite retranscrire l'histoire de sa grand-mère déportée, léguée par tradition orale à ses descendants ; et au-delà de ce devoir filial, on ressent bien le besoin plus large d'un devoir de mémoire en quête de réhabilitation.
Je me suis énormément attachée aux personnages du roman et j'ai beaucoup appris sur l'histoire, la culture et le patrimoine arméniens. Il ne se passera pas longtemps avant que j'entame le deuxième tome ; le temps, peut-être d'apaiser mes cauchemars...