Je ne pourrais vraiment écrire de critique laudative ou péjorative. Pas une critique de goût, pas non plus évaluative ou explicative de ce texte. Il est si complexe et protéiforme qu'il n'est guère aisé de tout en saisir.
Je voudrais cependant, sous le prisme de mon regard, tenter d'écrire quelques lignes sur Antonin Artaud et cette production.
Parce qu'il vient remuer, racler les tréfonds où l'être est bien enraciné, bien englué. Les certitudes, les concepts, toutes ces mêmes significations ancrées en nous, acquises sont bouleversées. Tout est délogé, arraché de son socle et balancé dans la conscience et l'intellect opérant afin de passer sous leurs crocs et le remodeler, le déchiqueter ou le renvoyer dans le petit confort de pensée inconsciente de l'habitude.
Toutefois, pour moi, ceci n'est que d'ordre intellectuel, éventuellement psychanalytique Mon cerveau, mes affects, ma structure ont été touchés, écho ou ébranlement mais plus d'un côté intellectuel. C'est bien une pensée même qu'Artaud exprime, il le revendique, avec le texte qui se complexifie en méandres syntaxiques et lexicaux sibyllins mais percutants. Il s'agit d'une déconstruction de "la littérature", du chef d'oeuvre, de l'écriture, des normes. C'est le postulat du détachement de soi, de l'autonomie (pas indépendance). C'est le cri d'un esprit. Et je m'y retrouve.
Mais, j'ai du mal humainement avec l'humain. Le personnage, la personnalité. lorsqu'il n'est qu'esprit, qu'il balaie l'idée d'être quelqu'un, il me parle. Lorsque sa personnalité, encore soumise aux normes, au social, s'exprime, lorsqu'il est quelqu'un, il me déplaît. Je ne saurais le dire, l'expliquer logiquement. Ses lettres de ménage ont une connivence affective que je pouvais avoir développé. Tant de sexisme, d'égocentrisme négatif. Cette façon de s'adresser, ce qui transparaît... Donc j'ai du mal, ce sexisme fort, ce quelque chose d'indicible ressenti, m'a fortement dérangée. Pourtant il s'agissait également de lettre "c'est presque l'image de son âme que chacun trace dans une lettre"* comme celles avec Jacques Rivière, au début du recueil, qui elles m'ont bien plu. Néanmoins, dans ces lettres de ménage, soit il se met en scène (sa spécialité) et ce personnage m'est exécrable ( dans le ressenti, je ne saurais l'expliquer) soit il se dévoile... Et il m'est toujours exécrable. Véritablement, j'adorais A.Artaud. Il bouleverse. Je pourrais dire de sauter ce passage et se concentrer sur le reste, juste grandiose, mais ce serait donner une illusion de lui et ne pas voir l'être derrière.
Cela a rompu quelque chose pour moi. Et rien que l'évoquer me coupe l'envie d'en parler et je n'ai plus rien à dire. Paradoxalement, comme je le disais, il est intellectuellement très intéressant. Il apporte un angle d'attaque différent, il réussi le pari d'exprimer directement un jaillissement de la pensée, meilleur qu'en poésie, meilleur qu'en écriture automatique... Le refus complet des concepts, des notions, soi, sa souffrance autant physique qu'intellectuelle... Toutefois, je persiste et signe, l'humain qu'il montre dans ces lettres envers une femme, soit disant aimée, je refuse.