Ahh, quelle œuvre marquante ! Mais qu’il a été difficile d’arriver au bout de ce livre et de suivre les réflexions et les détours de Sévérian. L'ombre du Bourreau n’est pas une œuvre à prendre à la légère et sa lecture en fera abandonner plus d’un. Pourtant, malgré la lassitude que j’ai souvent ressentie face à tant d’éléments peu compréhensibles, j’ai continué coûte que coûte et j’ai vraiment aimé ce livre. J’avais déjà aimé le premier tome (lien), mais je me berçais d’illusions sur la suite. Je vais essayer de rentrer un peu plus dans le détail.
Lire ma critique du premier tome : https://www.senscritique.com/livre/L_Ombre_du_bourreau_Le_Livre_du_Nouveau_Soleil_tome_1/critique/143017685
Le premier tome m’avait laissé avec l’impression que cet univers immense allait petit à petit se dérouler et, qu’au fur et à mesure des pages, tous les éléments finiraient par s’imbriquer jusqu’à ce que tout soit compréhensible. Je me suis lourdement trompé, car L'ombre du Bourreau n’a rien d’un récit classique où l’on suit les aventures d’un héros jusqu’au dénouement dans un univers de fantasy.
Si l’on suit effectivement un héros – le bourreau Sévérian – il faut oublier l'habituelle quête qui va le faire avancer ainsi que l’intrigue qui sous-tend tout l’univers. La lecture de cette histoire n’a rien de banal et elle n’a rien de simple non plus. De la même façon, le fantastique ne reprend aucun des codes classiques du genre. Si vous en avez ras-le-bol de croiser des elfes, nains et magiciens dans chaque livre de fantasy, alors vous serez servi, car Le Livre du Nouveau Soleil est une création originale dans son univers tout entier. C’est d’ailleurs tellement nouveau que ça en devient souvent difficile à appréhender.
Ce qui rend la lecture de L'ombre du Bourreau à la fois compliquée et si particulière, c’est que l’on passe presque autant de temps à suivre les réflexions, rêves ou hallucinations (il est souvent délicat de savoir si c’est l’un ou l’autre) de notre héros qu’à assister à des événements concrets. D’autant plus que lorsque lesdits événements surviennent, on est souvent bien en peine de dire, sur le moment ou avec le recul, en quoi ils sont importants pour l’intrigue. Et c’est bien là la grosse particularité (ou défaut selon les goûts) de ce livre : l’intrigue est tellement peu mise en avant et généralement diluée dans les pensées de Sévérian, mais aussi dans de nombreux événements qui paraissent sans intérêt, qu’il aurait pu suffire de sans doute 500 pages au lieu de 2000 pour écrire toute l’histoire sans tout ce qui est - ou peut paraître - superflu autour. Mais évidemment, on y perdrait tout l’intérêt et toute la richesse de l’œuvre.
Ainsi, le livre ne suit pas, comme je le disais plus haut, un schéma classique. On ne sait pas ce que cherche à faire Sévérian, il n’a pas de but particulier. On suit son voyage et ses rencontres, mais comme il n’a aucun réel objectif (il en a à plusieurs reprises, mais ils sont temporaires et ne sont pas assez importants pour porter l’intrigue), on ne sait jamais si les événements qu’il vit sont importants ou pas.
Combien de fois ai-je refermé le bouquin en m’interrogeant sur le sens de ce que je venais de lire et sur son intérêt ? Mais - et c’est là que L'ombre du Bourreau montre toute sa grandeur - je n’ai jamais abandonné ni même eu envie d’abandonner. Pire encore, j’ai continué à le lire à un rythme étonnamment rapide, là où n’importe quelle autre œuvre ayant les mêmes travers aurait vite été refermée sans jamais être rouverte. Certes, j’ai très souvent été perplexe et la lassitude m’a envahie bien trop fréquemment à mon goût (dans les tomes 2 et 3 surtout), mais je suis resté motivé, voire très motivé à de nombreux moments.
Ce qui explique cette motivation c’est, comme je le disais dans ma critique du premier tome, l’écriture et l’univers qui sont d’excellente qualité et qui vous immerge avec une efficacité redoutable dans ce monde situé entre la fantasy et la science-fiction.
Gene Wolfe propose un univers extrêmement original et fouillé, ce qui implique indubitablement un grand nombre de noms et de concepts inconnus. Mais l’auteur réussit admirablement à éviter les longues explications sur le fonctionnement du monde et de ses peuples en prenant le parti de s’en tenir au strict minimum, voire à l’absence totale d’explication. Très souvent, on trouve enfin des réponses plusieurs centaines de pages plus loin. En découle une lecture dans laquelle on peut souvent se sentir perdu, mais qui est extrêmement exotique et qui va immerger complètement le lecteur dans ce monde inconnu et plein de mystères. L’écrivain fait travailler notre imagination pour nous faire créer notre propre version de l’univers dans lequel vit Sévérian de Nessus.
En fin de compte, je crois sincèrement qu’il faudrait lire L'ombre du Bourreau au moins deux fois pour en comprendre toute la puissance et tout le génie. Je ne l’ai lu qu’une seule fois et je ne sais pas si je me sentirai capable de le relire un jour, tant il peut être difficile d’aborder cette œuvre. Comprenez bien que ma note reflète mon sentiment général vis-à-vis de ma lecture, avec toutes les difficultés rencontrées pour comprendre l’univers dans lequel évolue Sévérian. Mais je sens bien que je n’ai pas été capable d’en aspirer toute la profondeur et la richesse et je suis persuadé qu’un 9/10 serait mérité. Mais il faut prendre en compte les limitations intellectuelles des petites gens dont je fais visiblement partie, car je reconnais en L'ombre du Bourreau un monument de la littérature de l’imaginaire dans lequel seuls quelques élus ont le droit d’en apprécier toute la beauté.
Ce que je viens de lire est une œuvre d’une originalité formidable, tant dans son univers et ses personnages que dans son écriture, et d’une richesse impressionnante. Une œuvre marquante que je suis heureux d’avoir connue.