Après l’incroyable Horde du Contrevent, j’avais hâte de commencer Les Furtifs, le nouveau roman de Damasio. L’univers n’a rien à voir, car on est ici dans une SF quasiment contemporaine puisqu’on se situe aux alentours de 2040, dans un monde ultra-capitaliste ou vivraient des êtres appelés furtifs qui auraient la capacité d’être invisible à tous grâce à leur capacité à se glisser dans les angles morts de notre vision et de nos caméras et autres détecteurs. Dans cet univers, la fille de Sahar et Lorca a disparu et ce dernier est persuadé qu’elle est partie avec les furtifs.
Les Furtifs est un livre très difficile à noter, car il y a un véritable grand écart entre les moments d’excellence et les autres. Je pourrais dire que j’ai rarement été autant touché par un récit (du moins par certains passages en particulier). J’ai plusieurs fois eu les larmes aux yeux dans les passages qui touchaient au cœur de l’histoire, sur Lorca et Sahar. Autant dire qu’au début de ma lecture, j’étais particulièrement enthousiaste, d'autant plus que je retrouvais l’écriture de Damasio, c’était un vrai régal.
Puis cette écriture si travaillée, si caractéristique prend de plus en plus d’ampleur, au point qu’on se demande si Damasio n’a pas simplement vu Les Furtifs comme un exercice littéraire de près de 800 pages. Si ces passages étaient excellents dans La Horde du Contrevent, c’est aussi parce qu’ils étaient rares. Là, à force de nous tartiner quasiment à chaque pages des néologismes à n’en plus finir, des jeux basés sur la langue et d’autres joyeusetés de ce genre, j’ai fini par atteindre l’overdose. Si à cela on ajoute que 3 narrateurs sur les 6 parlent un mélange de verlan, de franglais, d’espagnol et d’argo, vous comprendrez peut-être que j’ai fini par me détacher du récit.
Le récit justement, parlons-en. Si j’ai été happé, comme je le disais, par les premiers chapitres et notamment par les passages avec Lorca et Sahar, l’histoire prend rapidement le virage du militantisme politique, avec ce qu’il faut de manifs et d'assemblées révolutionnaires. Autant dire les choses telles qu’elles sont, j’ai beaucoup, mais alors beaucoup de mal avec ce genre de récit. En fait, c’est tout ce que je fuis dans la littérature. J’aime me perdre dans un monde inconnu, être émerveillé par la nouveauté ; alors suivre des groupes d’extrême-gauche dans un univers quasiment contemporain, c’est loin de satisfaire mes besoins d’évasion. Déjà que dans la vie, la politique ça m’ennuie pas mal, alors retrouver ça au centre d’un de mes bouquins, c’est pas vraiment quelque chose qui me botte. Et je ne parle pas ici des convictions politiques de Damasio, que je connais pas ailleurs et qui ne me posent aucun problème, même si je trouve le gars un peu trop extrême et prompt à la violence, mais c’est là un autre sujet. Ce qui me gêne, c’est que l’univers devient tout à coup bien trop réaliste, trop contemporain, trop politisé pour que je m’y retrouve. C’est, j’en suis conscient, un avis entièrement subjectif.
En ce qui concerne le reste de l’univers, que ce soit la vision de Damasio de notre futur proche hyper-capitaliste ou bien tout le pan lié aux furtifs, c’est intéressant à lire, même si ça ne m’a jamais transporté non plus. La faute à une vision trop caricaturale de cet univers (très méchants capitalistes et très gentils hippies) ? Peut-être bien. J’ai pu lire dans l’excellente critique de Gilraën que les personnages sont déjà tous acquis à la cause politique et qu’il n’y a donc aucune évolution pour emmener le lecteur avec lui. Je trouve cette idée très intéressante, car en effet, si l’on ne se range pas dès le départ dans la même case que Damasio et ses personnages, aucun effort n’est fait pour nous y amener. Et donc, on risque de rester sur le carreau.
Pour tout ce qui concerne les furtifs, j’ai trouvé le début très intéressant, cette promesse de l’inconnu, avec même des doutes sur leur existence réelle. Puis tout ce pan du récit se noie là aussi dans les exercices littéraires en tous genres, ce qui a fini par me perdre et me désintéresser totalement de l’ensemble de l’histoire.
Les Furtifs a donc été pour moi une déception, d'autant plus que j’ai adoré le début. Mais puisque je ne peux pas oublier les émotions que les premiers chapitres m’ont fait ressentir, je ne peux pas être trop dur avec ce livre. Je dirais simplement que je ne suis pas le public qu’il lui faut.
Si j’avais du noter Les Furtifs sur ses premiers chapitres, je lui aurais sans doute mis 8 ou 9 tant j’ai aimé les personnages de Lorca et Sahar et leur relation, leurs problèmes, puis ces furtifs insaisissables dont on ne sait pas réellement s’ils existent. Puis la suite du récit se noie dans des hectolitres d’exercices littéraires en tous genres, faisant oublier le récit en lui-même, sans parler du militantisme politique qui prend une ampleur insoupçonnée au début et devient le cœur même de l’histoire, ce qui m’a complètement sorti du récit. Cette aversion pour le réalisme et la politique dans les livres est un avis tout personnel, j’en conviens, mais rien ne semble fait dans Les Furtifs pour amener le lecteur à s’y intéresser s’il ne s’y retrouve pas dès le départ.