L'Orestie
7.9
L'Orestie

livre de Eschyle (-458)

Il y a de quoi avoir des attentes démesurées concernant cette "Orestie" d'Eschyle, unique trilogie du théâtre tragique grec à nous être parvenue intacte. Ce petit miracle légué par plus de deux millénaires pourrait facilement biaiser notre appréciation. Ce qui est rare est forcément exceptionnel. Et s'il était seulement bon ?


Les exploits de Troie inséparables du nom d'Agamemnon et le caractère proprement monstrueux des complots révélés dans ces pièces imprègnent certes cette lecture d'un parfum de fascination démente, rehaussé par la grandeur du style, le noble archaïsme d'Eschyle. Cependant, le contexte mythologique et le relatif désintérêt psychologique propre à l'auteur ne peuvent pas tout excuser. Une incohérence majeure court tout le long des deux dernières pièces, je veux parler du meurtre d'Iphigénie. Pour apaiser le courroux divin et être sûr de pouvoir s'en mettre plein les fouilles, le Roi des rois n'a pas hésité, en effet, à sacrifier sa propre fille. Acte barbare, inhumain, comme le rappelle fort judicieusement la première pièce, "Agamemnon". C'est la raison pour laquelle la femme tue son mari, une vengeance de mère, dure mais juste, et la patience dont fit preuve Clytemnestre durant ces dix années de lutte en Ilion élève la meurtrière au sublime.


Les deux pièces suivantes, amnésiques, ne toucheront plus un mot de cette juste cause maternelle. Soudain, si Clytemnestre a tué son mari, c'est qu'elle est une catin, une dégénérée, une mère indigne, un serpent tout droit sorti du ventre de l'Hadès. Ce sera tout ? Non, les enfants de la meurtrière, Oreste et Electre, n'auront de cesse de rallonger la liste des insultes pour mieux vider leurs larmes sur le tombeau de leur père infanticide. Leur sœur ? Mais ils s'en tamponnent, ma bonne dame !


Cette impression d'avoir droit à un changement d'auteur d'une pièce à l'autre, des auteurs avec des points de vue bien différents au sujet de la culpabilité de Clytemnestre m'a été assez insupportable, je dois l'avouer. Mais il semblerait que cette incohérence soit une technique narrative récurrente d'Eschyle, qui feint de tenir avec ses personnages féminins afin de mieux les agonir de reproches par la suite (le schéma serait précisément le même, selon toute vraisemblance, avec la trilogie des "Suppliantes"). D'autres bêtises émaillant l’œuvre semblent confirmer la misogynie bornée d'Eschyle et amoindrir l'impact de son discours.


Heureusement, le texte est beau. Un peu trop emphatique, parfois, mais des dialogues plus terre-à-terre viennent tempérer cette impression pompeuse. Surtout, la troisième pièce, "Les Euménides", représente un moment capital dans l'expression de la pensée grecque (et donc humaine): le moment où les hommes choisissent une justice à leur mesure, plus sensée, plus démocratique, aux dépens des antiques lois du Talion. Le meurtrier peut être pardonné, les divinités, dans les figures d'Athéna la sage et d'Apollon porteur de vérité, délivrent les hommes de leurs lourds rets mythologiques pour les laisser à une nouvelle compréhension philosophique de la vie.


Cette morale grandiose fait automatiquement de cette trilogie un monument littéraire à connaitre et à s'approprier, mais ne doit pas pour autant nous conduire à fermer les yeux sur les faiblesses, bien réelles, du texte. Oui, une œuvre antique peut se contenter, malgré le fard des siècles, d'être "seulement" bonne. Et c'est déjà beaucoup.

Amrit
7
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le 18 juil. 2019

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Amrit

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