De ce livre portant le même sous-titre que Mésopotamie de Jean Bottéro, j’attendais surtout qu’il me permît de découvrir ce qu’à propos des mêmes sujets d’autres regards pouvaient apporter. Je ne reviens donc pas sur la première partie, « Religiosité et raison en Mésopotamie » par Jean Bottéro, qui constitue en quelque sorte un relevé de conclusions portant sur les thèmes habituels de l’auteur : l’« acculturation réciproque » (p. 27) de Sumer et d’Akkad, la genèse et le développement de l’écriture, les liens entre celle-ci et la pensée, la mythologie…


La deuxième partie, « L’écriture entre mondes visible et invisible en Iran, en Israël et en Grèce », est autrement plus difficile à suivre. D’une part, parce que les rapports entre les notions que Clarisse Herrenschmidt y évoque – pictogrammes, chiffres, lettres, signifiant et signifié, alphabets, alphabets consonantiques et syllabaires… – peuvent être en eux-mêmes complexes, ajoutant au tableau une dizaine de langues et / ou d’alphabets incluant le vieux-perse ou l’élamite… D’autre part, parce que s’y côtoient, cimentées par de l’histoire événementielle, des notions de linguistique assez peu glamour – paie ton évolution du H de l’alphabet grec entre VIIIe et IVe siècles ! – et des interprétations qu’on attendrait plutôt dans le manifeste de quelque poète / metteur en scène / metteur en voix contemporain : ainsi « Les occlusives disent dans leur universalité que le langage, le son humain et la parole sont intention et construction sur l’intention : vouloir dire est un saut dans l’inconnu, une rupture d’avec l’instant où l’on ne voulait rien du tout, un risque mettant le locuteur dans une situation périlleuse, entre le silence dont il ne veut plus et le contrôle impossible du temps qui file » (p. 138).
Le lecteur trouvera, selon qu’il applique le canon de Morgan ou le principe de charité, que le propos de cette deuxième partie dissout la continuité avec la première, ou constitue un approfondissement minutieux de la thèse de Bottéro selon laquelle l’apparition de l’écriture – et en l’occurrence la façon d’écrire – fournit aux peuples historiques un cadre mental. (Le fait que pour certains, l’écriture d’une chose fasse partie de cette chose est une variante de cette grande idée.) La réflexion est riche mais la démarche périlleuse, et l’auteure avertit elle-même en note que « toute recherche sur la signification collective inconsciente d’un signe est une aventure risquée » (p. 179). De fait, les analyses extrêmement méticuleuses des choses ne sont pas toujours éloignées de la surinterprétation.


Enfin, dans la – brève – troisième partie de l’ouvrage, Jean-Pierre Vernant analyse en contexte les conséquences du passage à l’écrit de la langue grecque, lequel permet notamment – c’est l’une des idées défendues – qu’une explication philosophique du monde (en l’occurrence celle qu’on qualifie ailleurs de présocratique) se superpose à une explication mythologique, Thalès à Hésiode. L’une des directions du texte est d’analyser les conséquences politiques d’un tel mouvement de pensée. C’est du Vernant : clair et riche, quoique parfois un brin péremptoire – le format de l’ouvrage ne permettant guère, de toute façon, d’aller plus loin.
Deux dernières choses à noter. D’une part, l’Orient Ancien et nous est moins un livre à plusieurs mains qu’un recueil de trois textes séparés. D’autre part, l’avant-propos de François Zabbal n’est pas dénué d’intérêt.

Alcofribas
6
Écrit par

Créée

le 1 févr. 2018

Critique lue 52 fois

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 52 fois

D'autres avis sur L'Orient ancien et nous

L'Orient ancien et nous
Alcofribas
6

Cours d’orientation

De ce livre portant le même sous-titre que Mésopotamie de Jean Bottéro, j’attendais surtout qu’il me permît de découvrir ce qu’à propos des mêmes sujets d’autres regards pouvaient apporter. Je ne...

le 1 févr. 2018

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 12 nov. 2021

21 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

21 j'aime