William Kotzwinkle, vieux briscard de la littérature américaine, fait partie de ces écrivains difficiles à cataloguer. Maniant la farce décalée avec une ironie mordante qui frôle le génie, il sait aussi, à travers cet exercice humoristique loin d’être évident, déployer une forme de critique sociale singulièrement pertinente et juste. Au-delà de la bouffonnerie bon enfant, Kotzwinkle est ainsi un observateur aguerri de la société américaine et de ses petites tares. Une marque de fabrique que l’on retrouve chez par exemple un certain Tim Dorsey, bien que ce dernier soit à mon sens encore plus mordant et féroce, mais avec une fantaisie que nul ne peut lui disputer.
Autant vous prévenir, il va falloir sérieusement faire appel à vos facultés de suspension de l’incrédulité avec ce roman, mais en dehors du fait que dans cette histoire un ours originaire du Maine parle, mange et se comporte à peu près comme un humain lambda, tout est parfaitement normal, enfin presque. Le récit débute par les péripéties un brin rocambolesques d’un certain Arthur Bramhall, universitaire raté et écrivain malchanceux, déjà victime de la disparition d’un premier manuscrit dans l’incendie de sa maison. Cette fois le bougre est encore moins vernis, puisque qu’il se fait voler le manuscrit de son nouveau roman par un ours. Il faut dire, qu’échaudé par le sinistre dont il avait été victime, Arthur avait pris soin d’enfermer son roman dans une mallette, qu’il avait ensuite cachée sous un vieil arbre proche de la forêt. Pas de bol, un ours affamé et prêt à boulotter à peu près n’importe quoi, s’empare de la mallette. Déçu de ne pas y trouver de quoi satisfaire son insatiable appétit, il fait néanmoins feu de tout bois et se voit bien endosser le rôle d’écrivain. Après tout, ce roman a l’air d’être fort bien écrit et il n’y a pas de raison qu’il ne puisse profiter du succès qui semble lui tendre les bras. Le voilà donc qui raye le nom d’Arthur Bramhall et le remplace par un pseudonyme de son cru, ainsi notre ours devient Dan Flakes (n’allez pas croire que notre ours soit allé chercher l’inspiration plus loin qu’un paquet de céréales) et s’apprête à devenir la future coqueluche du monde de l’édition, un véritable phénomène dont le maintien bestial et les manières un peu rustres ne semblent guère susciter l’étonnement parmi les requins et autres loups du milieu de l’édition.
Intelligent et drôle, sans être forcément désopilant, L’ours est un écrivain comme les autres est une véritable diatribe, qui se moque ouvertement de l’intelligentsia américaine et en particulier du milieu de l’édition (dont Kotzwinkle est sans doute bien placé pour se gausser). Écrit avec une ironie mordante et un sens du burlesque déroutant, ce roman est une petite bouffée d’air frais et une lecture incontournable pour ceux qui auraient déjà apprécié Fan man ou bien encore le fabuleux Midnight Examiner, probablement le meilleur roman de Kotzwinkle à ce jour. Il est simplement dommage que l’humour employé par l’auteur repose uniquement sur le quiproquo, une technique qui fonctionne parfaitement sur un texte court (au hasard une nouvelle), mais qui montre cependant ses limites au-delà d’une centaine de pages. L’ensemble est néanmoins rattrapé par une galerie de personnages truculents et extrêmement bien campés (comme quoi, les stéréotypes ont parfois du bon), qui font tout le sel de ce déroutant roman.