Mettre de l’ordre dans le chaos
Le deuxième tome des Mémoires de Guerre de Charles de Gaulle, intitulé L'Unité, couvre la période allant de la victoire à El-Alamein en novembre 1942 jusqu'à la fin de la guerre en 1945. Dans ce...
le 30 juin 2023
Le début de ce deuxième tome est particulièrement indigeste, et pourrait vous décourager.
Il s'agit du basculement de la guerre, quand les Alliés prennent pied au Maghreb. Le chapitre qui le décrit est intitulé "Tragédie", et celui qui suit, consacré à la lutte avec Giraud, est intitulé "Comédie". Pour De Gaulle, l'opération Torch est une faute d'Eisenhower et Montgomery, parce qu'elle a amené les forces alliées à tirer sur des forces françaises vichystes, mais sans doute surtout car Mongénéral a été tenu à l'écart du projet. Le passage le plus émouvant est celui de la flotte de Toulon, obligée par Vichy de se saborder plutôt que de se livrer aux Allemands, quand Hitler, quelques jours après le débarquement allié au Maghreb, envahit en représailles la zone "libre". Le chapitre suivant consacré au duel avec Giraud est particulièrement imbuvable et odieux de morgue. Je n'ai pas creusé la question mais on sent qu'il y a une tentative de réécriture, de mauvaise foi condescendante. Giraud est montré comme un bon officier qui n'a aucun sens politique, a de coupables ambiguïtés avec Vichy (n'hésitant pas à lui concéder une certaine continuité républicaine) et se satisfait d'être le pantin des Américains. Berk.
Le dernier tiers du livre regagne en intérêt, avec la libération de la Corse, celle de l'Italie, et évidemment ce tome se clôt sur le sâcre populaire de De Gaulle lors du défilé Arc de Triomphe-Notre-Dame après la libération de Paris.
On notera comme De Gaulle surestime le poids stratégique des FFI dans la libération du pays ; dont il n'évoque que les épisodes dans lesquels les gaullistes ont joué un certain rôle (la libération pacifique de Limoges par Guingouin, par exemple, n'est pas mentionnée), comme il défend la mémoire de la concentration dans les maquis (Vercours et Glières), bien que l'intérêt tactique en ait été contestable. Et de manière générale, il ne montre la libération du pays qu'à travers son prisme personnel (ce qui se conçoit bien sûr dans la démarche de mémoires). Ainsi, très peu est dit en soi des opérations de débarquements, que ce soit en Normandie ou en Provence.
Et De Gaulle insiste plutôt, encore une fois, sur ses manoeuvres permanentes pour ne pas se faire imposer un commandement allié, mais pour restaurer la continuité de l'Etat dès qu'il pose le pied en France. Avec cette obsession : prendre les Alliés et les communistes de vitesse. A cet égard on peut voir le défilé des Champs-Elysées comme une course à l'échalotte brillamment remportée par Mongénéral pour s'offrir un sâcre populaire. Avec l'intuition d'un showman, De Gaulle fait tendre tous ses efforts vers cet instant. Mais ce n'est pas pour son ambition personnelle, bien sûr. C'est pour "une certaine vision de la France".
On notera au passage, lors du chapitre final, quand De Gaulle évoque les moments de l'histoire de France qui résonnent en lui alors qu'il descend les Champs Elysées, que les épisodes de l'histoire royale y ont la part belle, de Jeanne d'Arc à Henri IV en passant par Saint-Louis. La référence à Clémenceau (le Clémenceau de la fin, conservateur, cela va sans dire) fait presque tâche. Mais la vision historique revendiquée a sa cohérence : c'est l'idée que le régime de Vichy serait une anomalie, la France, même aux heures les plus sombres, n'ayant jamais accepté la tutelle d'une puissance étrangère (on laissera à De Gaulle sa vision toute personnelle du pouvoir dont disposait le roi de Bourges). On notera aussi, déjà, la légende noire faisant porter exclusivement à Laval la noirceur de Vichy, Pétain étant montré comme un grand général âgé trompé par son entourage (étrange tant cela contredit le portraît du Pétain calculateur misant sur la défaite développé dans le tome 1).
Et encore une fois, l'épouvantail communiste est là : Rol-Tanguy et les prétentions politiques du CNR sont montrés comme une pente glissante dont il faut protéger la France. Ignoble.
On notera que De Gaulle s'efface du récit des opérations militaires : il ne cherche pas à se les attribuer, de ce point de vue il rend à Leclerc ce qui appartient à Leclerc. Mais dans sa tête, son combat pour conserver la légitimité du Comité de Libération et placer dès un territoire français libéré des commissaires pour restaurer la continuité de l'Etat est le plus important. Au fonds, De Gaulle est resté traumatisé de la crise de légitimité qui a suivi le succès de l'opération Torch : il en a tiré les leçons et a tout fait pour que cela ne se reproduise plus. Il était donc très important pour lui que la France donne l'impression de se libérer elle-même pour congédier rapidement les alliés.
Encore une fois, le parallèle avec La guerre des Gaules de César est évident. C'est un livre fait pour raviver la légende gaullienne à une époque où la IVe république est secouée par les guerres coloniales. C'est une machine de guerre pour préparer le retour de De Gaulle au pouvoir. Il ne faut pas prendre ce livre au premier degré comme un ouvrage historique, mais comme un projet politique qui annonce la Ve république, et montre une vision a-postériori de la guerre.
J'ai lu ce livre car je suis enseignant en Histoire-Géographie, mais vraiment vous pouvez vous en passer. Il y a des livres généraux sur la Seconde guerre mondiale bien plus courts et synthétiques. Il faut lire ce livre seulement si vous vous intéressez à De Gaulle.
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