Depuis quelques années maintenant, la Bible est au programme de français pour la classe de 6ème. Et chaque année, des élèves formulent la même question : "mais je croyais qu'on n'avait pas le droit de faire de la religion ?" Mais la Bible, ce n'est pas seulement une œuvre religieuse. Ou plutôt, ça a dépassé, de très loin, le seul cadre religieux que ce texte avait à l'origine. Et d'ailleurs, en cours, l'étude d'extraits de la Bible est classée dans la catégorie "textes fondateurs", aux côtés de L'Iliade et l'Odyssée, des Métamorphoses ou de Gilgamesh.
Car, que l'on soit croyant ou athée, il est incontestable que ce qui se trouve dans ce livre constitue un des substrats les plus importants de notre culture, voire de notre inconscient. Promenez-vous dans un musée des Beaux-Arts sans rien connaître de la Bible, vous risquez de ne pas comprendre grand chose. La Bible reste une référence culturelle et une source infinie de travail pour des artistes, même s'il s'agit de s'en détourner, de la parodier ou de la remodeler à ses propres opinions.
Et je ne mentionne même pas les interdits sociaux et moraux que l'on retrouve dans nos sociétés occidentales...
Là où la Bible fascine, c'est par sa complexité et ses nombreuses énigmes.
D'abord, la Bible réunit plusieurs livres écrits par des auteurs différents et à des époques différentes. Le nombre de livres varie selon les versions mais se situe autour de 70. Avec quelques problèmes : doit-on accepter ou rejeter certains livres ? Avec l'exemple du Cantique des Cantiques, livre qui, selon certains, n'a pas sa place dans le canon biblique, car le texte n'est pas explicitement religieux, mais plutôt un très beau poème d'amour parfois franchement sensuel (voire même érotique).
La question des auteurs se pose aussi. Première règle : quand on dit que ce livre vient de cet auteur, en règle générale, c'est faux, sauf exception. Ainsi, il y a très peu de chances pour que les Evangiles aient été écrits par les auteurs auxquels ils sont attribués. Et même parmi les épitres du Nouveau testament, bien peu sont rattachées à leur véritable auteur.
Ce qui laisse la place à beaucoup d'interprétations possibles. Ainsi, selon certaines traditions, le Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deuteronome) serait écrit par Moïse lui-même, ce que les exégètes ne semblent pas confirmer.
L'exégèse est d'ailleurs un travail absolument passionnant, même s'il requiert des connaissances monumentales. Connaître parfaitement l'hébreu, le grec et l'araméen (langue de la même famille que l'hébreu, sûrement parlée par le Christ lui-même et employée dans certains livres), avoir de solides connaissances en histoire, voire en archéologie parfois. Et posséder une belle capacité à prendre du recul par rapport aux textes, à ne pas les prendre au pied de la lettre mais à chercher le sens caché ou la réalité masquée derrière le livre.
La Bible est divisée en deux parties d'inégale longueur : l'Ancien et le Nouveau testament. Le terme de Testament correspond plus ou moins à celui d'Alliance : la première partie raconte donc l'histoire du peuple de l'Alliance conclue entre Abraham et YHWH. L'histoire des Hébreux, depuis la création de l'univers jusqu'au retour de la déportation babylonienne. Avec deux points centraux très forts : la conquête de la Terre Promise (et sa sauvegarde contre les envahisseurs divers et variés, dont l'existence est la preuve que le peuple ne respecte pas les commandements divins) et l'attente du Roi d’Israël, le Messie qui tient en ses mains à la fois le pouvoir religieux et le pouvoir politique, et qui fera d’Israël le Royaume de Dieu.
Cet Ancien testament regroupe des livres très divers et variés. Des écrits historiques (parfois légendaires, comme pour la Création) qui nous présentent Abraham, Moïse, Josué, Samson, David, Salomon... Parfois, on a plusieurs versions de la même histoire (ainsi, l'histoire de Saül, David et Salomon se retrouve aussi bien dans les livres de Samuel que dans les Chroniques). Et comme les Hébreux tenaient des annales très strictes, on a aussi des pages entières de généalogies.
Et puis, il y a les livres prophétiques, nettement plus difficiles à comprendre et à interpréter. L'exemple le plus sublime (car ces livres peuvent être lus comme de magnifiques poèmes sombres et pessimistes) est, à mes yeux, le Livre d'Isaïe.
Le Nouveau testament, c'est la nouvelle Alliance, celle qui unit Dieu à l'ensemble de l'humanité par l'intermédiaire du Christ. Car le Christianisme, surtout depuis le ministère de Paul, a une visée universelle, ce qui constitue déjà un changement majeur par rapport à l'Ancien testament. Ici, il n'est plus question d'un territoire à conquérir ou à défendre. Plus question d'un Saint temple qui serait la Maison de Dieu sur Terre. Le Nouveau Testament intériorise la religion. Elle en fait une spiritualité personnelle, secrète, intérieure. Être croyant ne signifie plus faire une série de rituels codifiés, c'est avant tout une expérience qui nous unit personnellement à Dieu à travers la foi, la prière et le respect du "Plus grand commandement", c'est-à-dire l'amour des autres. Jésus et, à sa suite, tous ses disciples ont établit ce qui était, à l'origine, plus un code de conduite, une éthique personnelle, qu'une religion à proprement parler.
Là aussi, on a une division. D'abord, les livres qui racontent la vie et l'enseignement de Jésus (les Évangiles) et de ses apôtres (Les Actes des Apôtres). Puis les épitres (dont la majorité est attribuée à Paul), qui sont des textes plus théoriques, voire emprunts d'une grande philosophies. J'aime particulièrement les épitres de Paul car le bonhomme, influencé par les philosophes grecs, était d'une culture impressionnante, et ses textes sont d'une grande profondeur qui dépasse largement le seul cadre religieux.
Le Nouveau testament (et la Bible dans son ensemble) se clôt par l'Apocalypse (mot dont le sens est mal compris de nos jours : Apocalypse ne signifie pas Fin du Monde mais Révélation, ce qui est d'ailleurs le titre du livre dans les versions anglaises). Exemple fascinant de livre symbolique ouvrant la porte à d'innombrables interprétations parfois contradictoires.
Car les auteurs de la Bible n'hésitent pas à employer des symboles. C'est un des éléments qui rendent ce livre si compliqué. Chiffres symboliques (3, 7, 12, 40), situations symboliques, rêves ou visions (l'échelle de Jacob, les Ossements d’Ézéchiel, la Colosse aux pieds d'argile, la Bête...). Et puis, les textes font souvent références à des situations quotidiennes qui étaient des évidences pour l'époque de leur écriture mais qui sont devenues très difficiles à comprendre de nos jours (ainsi, les allusions agricoles que l'on trouve dans Isaïe ou même dans les enseignements du Christ).
Je crois pouvoir écrire encore énormément au sujet de ce livre. Mais le mieux, c'est de vraiment en recommander la lecture. La Bible est un livre infini. ça n'a rien à voir avec sa longueur : il n'est pas si long que cela ! Les différentes éditions que je possède tournent autour de 1700 pages, c'est à dire à peine plus que Les Misérables ou Guerre et Paix. Mais ce livre est infini car, pour bien le connaître, pour envisager de le comprendre en profondeur, il faudrait tellement de lectures et d'études qu'une cinquantaine de réincarnations n'y suffiraient pas. Un livre fascinant et essentiel.