La Boîte de Pandore par Christine Deschamps

Bernard Werber a un peu les défauts de ses qualités de conteur : s'il sait goupiller des intrigues dynamiques et inventives, il pêche en revanche par une faiblesse récurrente au niveau de ses personnages, petits pantins en deux dimensions, lacunaires, immatures, fins comme du papier bible et soumis à des contradictions liées au fait qu'ils ne sont là que pour permettre à l'histoire d'avancer. Autant dire qu'on n'a assez peu de plaisir à les fréquenter. Caricaturaux, superficiels, ballotés par l'histoire, ils sont néanmoins le prétexte à des cavalcades enlevées qui nous promènent d'un bout du monde à l'autre, voire d'un bout du temps à l'autre, puisque, ici, ils voyagent non plus aux confins de la mort comme dans les Thanatonautes, mais d'une vie antérieure à l'autre. Là où certains doivent être rebutés par ces sujets extravagants, j'y trouve au contraire un soulagement bienvenu à tout ce sérieux dont les discours se parent de nos jours, à propos de tout et de rien. On a bien vu, grâce au coronavirus, la génération spontanée de spécialistes pontifiants que chaque phénomène qui touche le corps social provoque. Qu'il s'agisse de virologie ou de la manière dont les femmes doivent s'habiller, il ne manque jamais de doctes experts pour exprimer tout un tas d'avis qualifiés, fondés sur une absence absolue de preuves irréfutables, d'arguments sensés ou simplement de bon sens, lâchés d'une bouche réduite à l'état de segment du haut d'un cou saisi par la tétanisation. C'est pas grave, ça gêne pas, tout le monde sait tout sur tout. La grande qualité de Bernard Werber, c'est qu'il ose prendre toute cette communauté de "sachants" de pacotille à rebrousse-poil en fondant ses narrations sur des faits hautement discutables bien que présents dans les histoires qu'on se passe de génération en génération au coin du feu, en faisant bien attention à ce que le curé n'entende rien... Parce qu'il a l'art de compiler des informations éparses pour en tirer des systèmes cohérents qui serviront d'écrin à ses histoires. Parfois, ces faits étonnants débarquent tout droit d'un article dont on a le sentiment qu'il le recopie mot à mot, mais, je vous ai prévenus, la qualité littéraire n'est pas une préoccupation centrale dans son acte d'écriture. Avec la réincarnation, fait acquis pour plus d'un milliard d'humains dans le monde, il joue sur du velours... les théories sont fertiles : karma, Atlantide, annales akashiques, hypnose régressive, je vous en passe, il y a là matière à échafauder une jolie cathédrale théorique où des personnages faussement novices se fraient un chemin à grands coups de révélations tapageuses. J'ai fini par me laisser emporter, une fois que j'ai eu bien râlé contre le manque de finesse psychologique, parce que les événements se succèdent, parfois de manière très, très invraisemblable, et que ça finit par ressembler à un livre d'aventures à la David Gibbins. Ça n'est pas forcément désagréable. Ça reste un divertissement light, ça ne convaincra personne du bienfondé de certaines théories assez peu scientifiques, mais les bouquins de vampires non plus et ça n'empêche pas les lecteurs de se ruer dessus. Bref, une expérience de lecture qui aurait mérité une plage de sable fin sous mes fesses et un mojito à portée de la main, mais bon, on ne peut pas tout avoir tout le temps, à moins de parfaitement maîtriser la visualisation positive...