"La brigade du rire", de Gérard MORDILLAT (Ed. Albin Michel, 2015) vaut surtout pour l'idée de départ du récit, tellement loufoque, juste, grave et légère. Une bande de potes, anciens membres d'une même équipe, ils ne se sont plus vus depuis des années. Et aujourd'hui, comme hier, ils ont envie de rire et déconner. Sauf que, maintenant, ils sont adultes et ils ne supportent pas la situation socio-économique du monde actuel! Mais comme beaucoup de lecteurs, ils parlent, parlent et parlent encore sans jamais vraiment passer à l'acte.
Un petit extrait: "*Nous sommes en colère et désespérés. Pourquoi désespérés? Parce que nous sommes trop intelligents. Parce que nous connaissons l'histoire; parce que nous sommes tous parfaitement conscients que la situation politique, économique et sociale est absolument insupportable et que nous restons les bras ballants. Nous devrions être des sauvages, des Huns, des barbares et nous attendons la révolution comme des canards au bord du lac qui attendent qu'on leur jette des miettes de pain le dimanche. Nous n'avons que des paroles de révolte à nous mettre sous la dent, des paroles qui nous empêchent de digérer et moisissent en nous".
Et c'est alors que le récit décolle. Furieux des écrits d'un "journaliste expert en économie", ils décident de le kidnapper et de le mettre au travail. Le vrai travail, celui d'un ouvrier à qui le patron impose des cadences infernales, des réductions de salaire et une augmentation du temps de travail pour lutter contre les puissances économiques émergentes. La Brigade du rire devient donc un employeur, payant le travail du journaliste kidnappé et observant les loups du monde extérieurs, notamment ceux du journal, qui s'empressent de lui piquer ses idées, sa place et le verse aux oubliettes sans aucun état d'âme.
Le livre se laisse lire. Il titille et égratigne à souhaits le monde féroce de ceux qui parlent sur ceux qui travaillent. Il y a derrière l'histoire "fait divers" quelques belles occasions de s'interroger sur le monde économique et social que nous vivons, acceptons, nourrissons parfois.
Mais, l'extrait cité ici le montre assez, me semble-t-il, l'écriture n'est ni flamboyante, ni riche de sensibilité, de style et de 'verbe haut et fort'. J'ai donc été quelque peu déçu.
Toutefois, la mise en œuvre du projet de faire vivre au parleur le monde tel qu'il en parle est une idée intéressante! La description de l'évolution de ce personnage, journaliste devenu travailleur, est d'ailleurs, à mes yeux, une belle réussite. À elle seule, elle mérite lecture... et réflexion!