Voici un bel exemple de névrose littéraire. C'est l'histoire d'un écrivain qui ne parvient à vendre que des histoires de science-fiction. Or l'écrivain, lui, voudrait bien être connu pour ses romans de littérature générale, de "vraie" littérature autrement dit. Mais aucun éditeur ne veut de ce genre de manuscrit signé de sa main. Pas de pot. Et l'auteur s'acharne à raconter la même histoire, encore, encore et encore, en changeant les noms, en mélangeant comme des briques de Lego les lieux, les situations, les interactions entre les personnages. Si ça n'a pas marché les deux premières fois, peut-être que ça passera mieux la quatrième !
Ainsi, il y aura toujours un couple qui s'éloigne et qui se rapproche, il y aura toujours une femme fatale mal dans sa peau, un personnage plutôt beau gosse mais paumé, un bébé qui, à la fin, réglera tout ou presque, il y aura toujours de la musique classique et du Jazz, des boulots en rapport avec la musique ou la télévision, de longues promenades en bagnole, des dialogues de sourds qui s'éternisent.
Les thématiques seront toujours identiques, malaise existentiel, vacuité de l'existence moderne, recherche de l'identité, étalées dans d'infinies variations trop semblables les unes aux autres pour proposer au lecteur fidèle quelque chose de solide à se mettre sous la dent. Mais tout ceci est compréhensible: ces livres n'étaient pas censés avoir de lecteurs. Aucun autre témoin de la névrose que Philip K. Dick lui-même, auteur de science-fiction frustré relégué à l'imaginaire alors que rien ne semblait le fasciner davantage que l'interminable vague à l'âme de la réalité.
Le plus triste est de se dire que Dick était déjà parvenu au sommet de sa formule dès son deuxième essai avec *Les Voix de l'Asphalte*, le plus varié, le plus profond, le plus écorché de tous ses textes de jeunesse. En lui refusant cette publication, les éditeurs semblent avoir condamné Dick à cette boucle littéraire de continuelle recréation, jusqu'à déstructurer, finalement, ce qui fonctionnait. *Bulle cassée* qui porte bien son nom, roman touchant de par sa sincérité, mais inabouti, et même inachevé, en quelque sorte, encore parcouru de quelques pesantes faiblesses aussi bien structurelles que formelles.
Pris indépendamment, ce roman n'a certainement que peu d'intérêt, mais dans le cadre d'une intégrale de l'auteur, c'est une pièce à conviction menant à une meilleure compréhension de sa psyché, de ses obsessions, de son étroite réalité d'où seul son mysticisme parviendra à le faire sortir. *La Bulle cassée*, c'est la fille aux cheveux noirs qui se cache sous une épaisse couche de maquillage science-fictionnel dans la quasi-totalité du reste de son œuvre.