Quelle FEMME bordel
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le 10 août 2024
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Beaucoup de grands combats débutent par une prise de conscience douloureuse : celle de Gisèle Halimi remonte à ses toutes premières années, lorsqu’elle apprit, de la bouche de son père, qu’être fille était une malédiction. Nous connaissons tous ces histoires de famille que les parents racontent à leurs bambins captivés : leur rencontre, leur mariage, la naissance du petit ange ou de la petite princesse… Eh bien, la petite Gisèle a eu droit, elle aussi, au récit de sa naissance. Une histoire particulièrement édifiante : lorsqu’elle est venue au monde, son père, atterré par la nouvelle, a tu pendant une quinzaine de jours sa terrible disgrâce, prétendant que son épouse n’avait pas encore accouché : pensez-vous, une fille ! Comment annoncer cette infortune aux voisins, à la famille ? C’est ainsi que la petite fille a découvert que naître femme dans une famille intégriste de Tunisie était un malheur pour elle-même, un fardeau pour son entourage.
Après ce déclic sont venues bien vite la révolte et l’insoumission : aider sa mère à la cuisine ou à l’entretien de la maison pendant que ses frères se prélassaient ? Il n’en était pas question, plutôt se priver de manger ! De guerre lasse, ses parents abdiquent : décidément, cette fille qui répugne aux tâches ménagères, qui préfère les études au mariage n’est pas comme les autres, mais il ne viendrait à personne l’idée de s’en réjouir. A l’école, au lycée, Gisèle est brillante mais nul ne s’en aperçoit : seules comptent pour ses parents les études du fils ainé, pas très doué pourtant. Mais Gisèle est acharnée : à force de travail, elle obtient les bourses nécessaires à la poursuite de son rêve et la voilà, quelques années plus tard, qui débarque à Paris pour y faire son droit. C’est durant ces premières années passées en France qu’elle tombe enceinte, comme on tombe en disgrâce, sans l’avoir voulu. Inutile de préciser que l’enfant n’est pas le bienvenu : il signerait à coup sûr la fin de son parcours académique, sans parler de la honte que subiraient ses parents restés au pays et qui ne doivent absolument rien savoir. Cet enfant, il faut qu’elle s'en débarrasse, mais comment ? Pour une étudiante étrangère de milieu modeste, sans le moindre argent de côté, il est impossible de trouver une autre solution que la "faiseuse d’ange", dont l’intervention tournera au désastre. Suite à quoi elle subira un curetage à vif dans un hôpital ou un médecin bien-pensant entend lui faire payer son crime …
Jeune avocate à Tunis puis à Paris, Gisèle Halimi prendra la mesure de la condescendance avec laquelle la traitent ses confrères, parce qu’elle est une femme. Toutes les vexations, les discriminations qu’elle subit aiguisent sa conscience féminine, déterminent son action militante et ses luttes incessantes. En1960, elle assure la défense de Djamila Boupacha, combattante du FLN violée et torturée par des membres de l’armée française lors de son emprisonnement. En 1971, elle est signataire du manifeste des 343, avec d’autres femmes célèbres qui reconnaissent publiquement avoir transgressé la loi en ayant avorté et revendiquent le droit à la contraception et à l’avortement libre et gratuit. La même année, elle fonde avec Simone de Beauvoir le groupe Choisir la cause des femmes, milite en faveur de la contraception et de l’éducation sexuelle. En 1972, ce sera le procès de Bobigny, le plus célèbre de ceux qui ont émaillé sa lutte en faveur de la dépénalisation de l’avortement jusqu’à la promulgation de la loi Veil en 1975.
On peut ne pas partager l’analyse proposée par Gisèle Halimi quant aux origines des inégalités entre les sexes, juger restrictive et obsolète la prépondérance qu’elle accorde aux facteurs économiques pour expliquer ces disparités. Il reste que ce serait une profonde erreur de prétendre dépassé le combat que les féministes ont livré dans les années 70. Le grand danger serait, tout au contraire, de croire que les acquis de cette époque ne peuvent nous être enlevés, alors que dans de nombreux pays occidentaux et même en France s’élèvent des voix rétrogrades qu’on aurait cru reléguées aux oubliettes de l’histoire, qui pour proposer de restreindre le droit fondamental des femmes à disposer d’elles-mêmes, qui pour contester le remboursement des interruptions de grossesse. Quant aux violences faites aux femmes et aux agressions sexuelles, ce sont hélas des phénomènes de société qui ne sont pas près de disparaître : pensons notamment à ces quartiers "sensibles" où les femmes n’oseraient jamais se promener en jupe de peur de subir remarques salaces, conduites déplacées ou agressives, quand elles ne sont pas tout simplement bannies de l’espace public. Alors certes, les filles d’aujourd’hui sont de manière générale loin de connaitre les problèmes de leurs aînées, elles mènent la plupart du temps leur vie comme elles l’entendent, elles investissent les amphithéâtres, exercent des professions réservées aux hommes il y a encore quelques décennies. Il ne faudrait cependant pas oublier que l’égalité des salaires et des fonctions est loin d’être effective, que la parité dans la politique et les entreprises – seule façon de faire véritablement évoluer un modèle de société fondé sur le patriarcat et structurellement inégalitaire, n’est encore bien souvent qu’un vœu pieux, au mieux un miroir aux alouettes, vu que la plupart du temps, les postes stratégiques continuent à échoir aux hommes. Le chemin de l’égalité est encore long à parcourir et semé d’embûches : il s'agit donc de ne pas s’endormir sur les acquis des générations antérieures mais de s'engager résolument sur la voie tracée par ces femmes courageuses qui nous ont précédées et, plus que jamais, d’être vigilantes.
Créée
le 19 mai 2017
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