J'écris cette critique après ma deuxième lecture de ce romain d'Elisabeth Filhol, lequel a apparemment servi de matière au film "Grand Central" avec Léa Seydoux et Tahar Rahim. De fait, ils partagent la même ambition : montrer le quotidien des hommes voyageant d'une centrale nucléaire à une autre pour y effectuer la maintenance, avec tous les risques et désavantages que cela comporte.
Le livre ne tombe pas dans le piège du film, à la dramaturgie maladroite et aux choix de mise en scène douteux (comme passer systématiquement une musique de safari lorsque les ouvriers approchent de l'entrée du site....). On y suit principalement Yann, intérimaire, ainsi que certains de ses collègues dans leurs activités de maintenance. Des travailleurs du nucléaire, itinérants et au statut précaire. Leurs motivations diffèrent, mais ils nous apparaissent tous égaux face à la froideur du système que constitue "La Centrale" - comprendre "l'outil industriel et ses exploitants" dans leur globalité.
A ma surprise, et contrairement au film comme je le disais plus haut, les faits et gestes de Yann sont décrits avec sobriété et efficacité quand il s'agit des interventions - à risque - que l'auteure a choisi de relater.
Les faiblesses du livre sont ailleurs :
- un récit volontairement dilaté et ciselé dans le temps, beaucoup trop d'ailleurs. Certains lecteurs trouveront peut-être un intérêt à recoller les morceaux de la carrière de ce brave gars, moi pas !
- les descriptions de paysage sombrent dans un hyperréalisme délirant.
- les poncifs sur la "chair à neutrons"... auxquels l'auteure semble elle-même avoir de la peine à souscrire au vu des abondants passages sur la surveillance médicale, les analyses de risque et la mise à l'écart préventive de notre cher Yann, après que celui-ci ait malencontreusement ramassé un écrou radio-activé...
"La Centrale" est un roman bien documenté, mais à l'écriture un tantinet trop foisonnante. Le travail en présence de rayonnements ionisants n'est pas anodin, l'humanité du propos est louable, par contre il aurait été constructif de prendre du recul par rapport aux dangers réellement encourus par les personnages. Pour moi les effets dégradants de leurs activités sont à chercher ailleurs : solitude, cloisonnement, instabilité matérielle et géographique, précarité... le livre en parle aussi, mais pas assez !