Incontournable Février 2022


Pour reprendre la formule de SophieLit: "Les romans qui remportent le prix Gallimard sont attendus avec impatience parce qu'ils sont vraiment tous de grande qualité." J'aborde en ce sens. Après la saga "Passe-Miroir", la trilogie "Les mystères de Larispem" et "Norman n'a pas de supers-pouvoirs", voici donc le gagnant 2021: "La Clé des Champs!


Robine, 14 ans, est la benjamine d'une famille de voleurs, dont les deux plus vieux sont d'habiles prospects. Sa soeur aînée est même une célébrité, même si elle croupit en prison. Son frère Arsène va bientôt passer son Initiation, qui le fera rentrer dans la communauté des voleurs ou , en cas d'échec, se soldera en exclusion. Pas de pression, surtout. Robine, néanmoins, n'aime pas voler et après avoir offert un cadeau qu'elle a elle-même fabriqué à son frère en guise de présent pour son Initiation, sa famille décide que ce comportement honteux nécessite une solide prise en charge. Robine se retrouve expédiée ( cavalièrement!) dans une école de redressement pour voleurs. Si elle n'excelle nul part, un évènement vient changer la donne. La règle d'or a été bafouée, un voleur a volé un voleur, et pas le plus banal, le directeur lui-même! Afin de sauver l'un de ses camarades, qui s'est lui-même dénoncé pour éviter un sort encore pire, Robine décide de mener l'enquête.


Aux premiers abords de cette histoire, j'ai été légèrement déçu que la prémisse de base soit la même que "Simone la rétro-voyante", mais dans un univers de voleurs. Et certains détails sont similaires aux univers de Harry Potter ( surtout cette grande salle avec un simili-ciel!) et de la Passe-Miroir, mais finalement, après sa lecture complète, il y a de la créativité et de l'originalité à tirer de ce roman.


Cet univers de voleurs a tout le référentiel culturel qui lui est propre, à savoir les prénoms et noms des héros et héroïnes, et ce, de tout horizons. Robine elle-même doit son nom à un voleur célèbre, et on aura aussi celui du très célèbre Arsène Lupin, Phulan ( voleuse indienne), Aladdin, Bonnie ( de Bonnie & Clyde), Coërse ( Nom d'une grande autorité de la Cour des Miracles - repaire de brigands et de gitans popularisé par le roman "Notre-Dame de Paris d'Hugo, notamment), ainsi de suite. Même les expressions, les mœurs et la perceptive sociale est "inversée" pour être adaptés à ces personnages chapardeurs. Les références du cour de Culture étaient d'ailleurs tristement véridiques.


L'École des Voleurs m'a fait quelque peu penser à Poudlard, quand on observe les sanctions punitives, en ce sens où elles sont dangereuses et moralement questionnables ( De quoi faire frémir les parents et la Protection de la Jeunesse!). Cette idée des boîtes était machiavélique et géniale, aussi perturbante physiquement que psychologiquement. Une véritable torture. C'était également très perturbant de savoir que Coërse, épileptique, recevait autant de chocs électrique ( Avez vous idée de l'horreur de "choquer" un cerveau qui se choque déjà tout seul?!). Aussi, cette idée de troquer certains aspects agréables, comme le mardi congé pour remplacer le dimanche ou les deux entrées pour compenser l'absence de desserts, étaient très amusantes et m'auront rappelées le quatrième tome de la Passe-Miroir, avec ses objets inutiles: Désagréable, juste assez. La seule incongruité que je vois est le fait que cette école a vraiment très peu d'élèves!


Côté forme, si on pense pendant un moment flirter avec le Fantastique, ce n'en est pas un. En fait, il est clairement plus près du roman policier.


J'ai été séduite par certains détails de cette histoire et ses thèmes. D'abord, on a aucune romance, malgré un personnage féminin, un détail que j'apprécie parce que trop souvent on colle un béguin à l'héroïne sous prétexte que c'est une fille et ça m'exaspère prodigieusement! Ensuite, nous avons moult représentants de minorités visibles: deux personnages LGBTQ, un épileptique, une fille qui est née sans mains droite nullement complexée à ce sujet, une voleuse issue d'une famille de fins limiers, quelques personnages d'ethnies autres que caucasienne et un personnage principal doté d'un instinct particulier malgré des lacunes dans la plupart des domaines du crime. Bon, l'idée de l'héroïne mouton noir de sa famille n'est pas en soit nouvelle, mais Robine sort des standards avec sa force tranquille, sa capacité à flairer les moments opportuns et son sens moral propre. Et nulle part on ne la décrit comme une beauté, ça c'est une victoire! Elle a aussi un touchant côté vulnérable assez crédible. Trop souvent j'ai croisé des personnages anormalement trop solides psychologiquement, alors voire des héros pleurer, avoir des crises d'angoisse et avoir des "downs" d'humeur, ça fait plaisir à voir.


J'ai été aussi charmé par la prédominance féminine. On a pleins de personnages féminins très diversifiés, fortes à leur manière et réellement mises de l'avant. Le genre de roman peuplée de filles qui pourrait faire changer les mentalités des jeunes garçons qui sont encore rebutés par les personnages féminins ( sans doute parce que trop souvent, elles sont trop souvent stupides et en quête d'un copain comme seule préoccupation dans la littérature jeunesse, mon impertinent avis). Du côté des gars aussi, il y a du beau travail, surtout avec ce mystérieux amateurs de fleurs que je ne nommerai pas - allez le lire!


Dans les thèmes, on s'en doute vu le sujet, on travaille la différence. Dans cet univers de voleurs, les gens qui aspirent à travailler, comme les "Marchandeurs", c'est très mal vu. Il y a donc une minorité de voleurs malheureux de vivre dans cette communauté, qui produit des préjugés assez tenaces et possède même des stéréotypes parfois à la limite de l'invraisemblance. On va donc toucher à l'ouverture d'esprit, à l'écoute de soi, à l'importance de l'empathie et à la pression sociale ( qu'elle soit sociétaire ou familiale). On naviguera aussi sur les fausses impressions et sur les secrets. Enfin, puisque les voleurs sont dans la vraie vie un groupe réellement ostracisé, on pose des questions sur la Morale. le Vol, bien que criminel par la Loi, n'est pas toujours une question d'objets dérobés. Parfois, c'est plus abstrait, comme le vol de temps.


Donc, pour premier roman, c'est assez réussi. Il y a de beaux messages, des personnages originaux et une trame qui coule très bien. On sera temporairement perplexe quand à la "magie" qui est peut-être présente et on aura de quoi cogiter pour trouver le voleur de la Clé des Champs, ce petit objet qui cause tant de soucis. La plume était agréable, mais sans être renversante. Pour un roman écrit au je, néanmoins, c'est d'une grande qualité!


À mettre dans les mains des Lecteurs amateurs d'enquêtes et d'histoires différentes. Une autre belle trouvaille pour le Prix du Premier Roman!


Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans.

Créée

le 14 févr. 2022

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Shaynning

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