Dans l’entre-deux guerres, l’Allemagne fut frappée de plein fouet par plusieurs années d’inflation folle et incontrôlable. Les prix augmentaient sans cesse et il était commun de ne pas payer un objet le même prix selon qu’on désirait l’acheter le soir plutôt que le matin. Pour une somme d’argent donnée, on achetait tout d’abord un immeuble, puis un étage, puis un appartement, puis une seule pièce, puis un meuble de la pièce et enfin la seule petite cuiller posée sur ledit meuble. A ce rythme, ruines et fortunes se faisaient et se défaisaient à toute vitesse. L’argent ne signifiait plus rien et ne valait pas le prix du papier sur lequel il était imprimé.

Dans ce climat, ceux qui avait un peu d’argent le plaçaient au plus vite en achetant tout et n’importe quoi. L’art était évidemment un bon refuge et les professionnels éprouvaient des difficultés à répondre à une demande sans cesse croissante.

Le narrateur est l’un des principaux antiquaires de Berlin. Et son échoppe était de nouveau vide, nettoyée par les derniers acheteurs avides de convertir au plus vite leur monnaie de singe en objets palpables. Aux abois, il consulta une fois de plus la liste de ses clients afin d’en trouver un qui aurait quelque-chose à vendre. Et de tomber sur le plus ancien d’entre eux, probablement octogénaire si du moins il vivait encore.

Il se rendit aussitôt chez le vieillard qu’il découvrit dans un appartement miteux : l’homme était très âgé et aveugle depuis plusieurs années. Il se montra ravi de la visite du narrateur : enfin la visite d’un homme qui sera à même d’apprécier sa collection. Et de crier à sa femme : « Louise, passe-moi la clé de l’armoire que je montre mes trésors à ce monsieur ». La femme pâlit aussitôt. Le lecteur subodora alors un problème, un traquenard. Qu’était-il arrivé à la fameuse collection. Elle avait dû fondre comme neige au soleil et à l’insu du vénérable monsieur.

Louise trouva un prétexte pour retarder l’étalage des trésors et mandata sa fille auprès de l’antiquaire pour parler à ce dernier entre quatre yeux avant sa seconde visite prévue dans l’après-midi, après la sieste du vieillard. La fille révéla le pot aux roses : en ces temps difficiles, les précieuses estampes avaient été converties en bois de chauffe, en steaks, en pain, et autres denrées comestibles ou de premières nécessités. La prochaine visite de l’antiquaire au collectionneur promettait d’être passionnante…

Une très courte nouvelle dans laquelle Stefan Zweig prouve une nouvelle fois qu’il n’est pas besoin de quantité de pages pour créer un récit magnifique. Cette collection invisible est un nouveau bijou (un de plus) tout droit sorti d’un des plus brillants esprits du début du XXe siècle. Un texte bouleversant sur l’une des périodes les plus difficiles de l’histoire allemande : un chaos sans précédent qui – selon Zweig lui-même, comme il l’écrit noir sur blanc dans son chef-d’œuvre « Le Monde d’hier » – est directement responsable de l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933.

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le 10 oct. 2014

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