La Controverse de Valladolid relate, sous la forme romancée d’un huis clos, un débat réel qui eut lieu en 1550 : il s’agissait de savoir si les peuples des Indes nouvellement découvertes avaient une âme. Les conséquences des deux réponses possibles étaient déjà tirées, ce qui ajoute à l’enjeu du récit. Dans le rôle du défenseur des Indiens, le dominicain Bartholomé de Las Casas, auteur réel d’une Relation de la destruction des Indes ; dans celui du fanatique, le philosophe Ginés de Sepúlveda.
Il y a quelques années, je me disais que le livre de Jean-Claude Carrière deviendrait peut-être, si l’on veut, un classique, dans le sens où le grand public non seulement en connaîtrait le titre, mais saurait à peu près de quoi il y est question. Je ne partage plus cette analyse, mais je reste d’avis qu’il ne s’agit pas d’un grand livre.
Trop pédagogique, pour commencer : la Controverse de Valladolid pourrait porter comme sous-titre « la Rhétorique pour les nuls ». Les personnages argumentent du début à la fin. Soit ; après tout des chefs-d’œuvre, ou au moins des œuvres assez fortes, ont été produits en suivant ce principe. (Mettons 12 hommes en colère, autre hybride intéressant de théâtre et de cinéma.) Mais ici, le narrateur intervient sans cesse, pour expliquer de quoi parlent les deux principaux personnages – c’est le sens des deux premiers chapitres, qui sont en fait un aperçu historique de la conquête du Nouveau Monde – ou pour souligner la façon dont ils en parlent.
C’est d’ailleurs ce qui pourrit la narration : le narrateur, souligne, surligne, encadre – il ne manque plus que les fiches de lecture toutes faites… Un exemple au chapitre 10 : « Je voudrais dire à frère Bartholomé une chose très simple », dit Sepúlveda (p. 168 de l’édition Pocket). Là, intervention du narrateur : « On a remarqué que le philosophe [Sepúlveda] n’a plus parlé du “seigneur-évêque”, mais de “frère Bartholomé”. » Certes, on l’a remarqué, alors pourquoi faire remarquer qu’on l’a remarqué ? Et on continue : « Son ton s’est transformé. Il est étrangement plus calme et presque souriant, presque bienveillant. » Le lecteur curieux et / ou imaginatif pouvait tout à fait déduire le contenu de ces deux phrases – en fait seulement le contenu de la deuxième, que la première ne fait qu’annoncer pâlement.
Je ne dirais pas que tout le reste est du même acabit, mais en gardant l’essentiel on pouvait transformer en un cocktail Molotov de cent pages ce petit pétard (humide) de deux cents ; la Controverse de Valladolid y aurait gagné en chaleur et en lumière, et sa chute – une belle chute, d’ailleurs, regrettable, cruelle et irréversible comme le sont les belles chutes –, qui est sans doute son point fort, aurait été mise en relief.
Jean-Claude Carrière – dont je vénère par ailleurs le Dictionnaire de la bêtise, qu’il a co-écrit – a fait de son roman un scénario de film étoffé, ou alors une pièce de théâtre qu’il commente en direct.