Un grand récit romantique, sur la mélancolie furieuse des paysages de Bretagne, les amours impossibles, et le temps qui passe. Notamment celui de l'enfance, cruel et insaisissable, qui emporte avec lui les bonheurs simples, avant même qu'ils n'aient été appréciés à leur juste valeur.
Comme abbatus en plein vol.
Ce déterminisme suffocant et cette fatalité, on les retrouve dans les personnages d'Huguenin. Notamment Olivier, protagoniste mystérieux et imprévisible, qui déploit une rage sans pareille pour faire l'expérience de sa liberté. Et bien que ses desseins semblent à première vue immoraux, on en vient par moment à souhaiter qu'il les atteigne malgré tout. Qu'il puisse s'affranchir de l'ordre établi et du regard des autres, pour enfin vivre cet amour interdit... Avant d'être nous-mêmes rattrapés par notre morale, et mis face à nos pulsions morbides. Une expérience de lecture troublante, immersive, qui n'est pas sans rappeler Lolita de Nabokov.
Il faut dire que personnage d'Olivier fascine, par sa façon de forcer sa liberté, sa rage et son intensité dans la vie. Il est en quête d'absolu et c'est ce qui fait de lui un héros romantique, forcément tragique.
Et puis, il y a en lui toute cette solitude existentielle : toujours entouré, mais terriblement seul. Lui que personne ne peut aider à porter ses tourments, mais aussi, et on ne s'en aperçoit que vers la fin, lui que personne n'aime véritablement... Pire, on le déteste, sa présence met mal à l'aise et pousse les autres dans les recoins les plus sombres d'eux-mêmes.
J'ai trouvé à cet égard le personnage du meilleur ami, Pierre, très intéressant dans le déroulé de l'histoire. Il veut devenir écrivain, et on sent par là qu'il éprouve une forme de jalousie vis à vis d'Olivier. Pourtant, à aucun moment il n'est fait mention de l'éventualité que celui-ci n'écrive. Il y a une mise en abîme implicite : le lecteur sait qu'Olivier, au fond, c'est Huguenin (les quelques passages qui basculent à la 1ère personne viennent d'ailleurs confirmer cette impression, comme s'ils avaient échappés à la plume de l'auteur). Car même si Olivier n'écrit pas dans le roman, on le pressent : il est déjà écrivain ou en passe de l'être. Sa sensibilité et sa voracité pour la vie ne trompent pas. Il sera bien plus doué que Pierre, trop pragmatique et raisonnable.
Et puis, au fil de l'histoire, les personnages semblent échanger peu à peu leurs rôles. Pierre, en meilleur ami docile un peu sous emprise, se révèle finalement obscur et énigmatique; tandis qu'Olivier, de plus en plus impuissant, apparaît esseulé et déterminé par un destin tragique, dont le cours lui échappe malgré tous ses efforts.
Comme le sable fin des plages de Bretagne qui lui glisse entre les doigts, il ne parvient à retenir ni le temps, ni les personnes qu'il aime; irrémédiablement condamné pour avoir "bêtement refusé la vie".