La Couleur tombée du ciel par Amrit
Excellente sélection de 4 nouvelles de Lovecraft, dont 3 qui figurent parmi les meilleures du "Mythe de Cthulhu". Ce recueil peut aussi constituer une parfaite entrée en matière dans l'oeuvre de l'auteur de Providence.
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La couleur tombée du ciel (1927):
Gros morceau que cette « couleur » abominable, immense réussite à lire à tout prix ! La montée progressive de l'horreur est équilibrée à la perfection entre descriptions évanescentes et comportements déments qui instillent un véritable malaise à la lecture. L'un des ingrédients de cette réussite tient en ce que les personnages principaux n'ont rien à voir avec ces héros lovecraftiens habituels, désabusés, las de la monotonie de la vie et qui courent à leur perte en réveillant des choses sinistres propres à les distraire quelque peu. Non, ici, c'est une pauvre famille de paysans, qui craint et respecte Dieu, qui se retrouve prisonnière d'un processus de dégradation psychique et physique proprement épouvantable. Sans aucune morale ou repère judéo-chrétien, le lecteur assiste à un dévoilement de perversion cosmique irrésistible et hypnotique. Le rythme, haletant, nous fait tourner les nombreuses pages sans effet de lassitude jusqu'à une conclusion parfaitement lucide sur la faiblesse du genre humain face aux forces occultes de l'univers.
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Celui qui chuchotait dans les ténèbres (1930):
Une des plus grandes oeuvres de Lovecraft, à mon humble avis ! Tous les ingrédients habituels répondent présent mais poussés à leur plus haut degré d'accomplissement: l'homme curieux qui découvre des secrets interdits, l'échange épistolaire où le funeste témoin plonge lentement vers la folie, un folklore réel revu à travers le prisme du Mythe de Cthulhu, des créatures jamais vues si ce n'est via des traces, des sons, des indices malsains... et une fin géniale, peut-être la meilleure de Lovecraft, qui réalise enfin pleinement l'union entre les terreurs cosmiques et une science-fiction terrifiante, nauséeuse, d'une imagination proprement stupéfiante ! Un sentiment de malaise et de fascination mélés m'a rapidement envahi pour ne plus me lâcher jusqu'à la fin. Une nouvelle littéralement dévorée, ce qui ne ressemble pourtant pas à ma façon de lire habituelle (j'aime prendre mon temps pour m'imprégner et analyser le style), mais là, c'était plus fort que moi. Car même si on peut en partie deviner comment tout cela va se terminer et pester contre l'aveuglement du personnage principal face à l'évidence, le cheminement est si bien construit, l'ambiance si parfaitement glauque et nos attentes finales si subtilement déviées qu'on ne peut en resortir que vidés, manipulés par la verve horrifique du plus grand auteur de fantastique de tous les temps...
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L'abomination de Dunwich (1928):
Où l'on explore davantage, bien qu'elle reste très mystérieuse, l'identité du Grand Ancien Yog-Sothoth, apparu pour la première fois dans "L'Affaire Charles Dexter Ward" en tant que possible maitre des sorciers. Pour la première fois depuis ma lecture de cette intégrale, j'ai eu une franche impression de redite en constatant les ficelles utilisées par Lovecraft. Cette nouvelle se présente quasiment comme un mix de "La couleur tombée du ciel" (une menace inconnue plane sur une maison de paysans...), en moins réussi, et de certains éléments de "l'Affaire Charles Dexter Ward" (sorcellerie, la menace pour le monde, la formule magique bien pratique...). Bien que l'histoire reste intéressante, j'ai vraiment déploré le style un peu faiblard de l'ensemble, sans véritable envolées d'adjectifs ni d'éléments de tension palpable. Aucune facette de l'intrigue ne surprendra les habitués de Lovecraft, bien que le déroulement se suive plaisamment et qu'on se retrouve tout de même face à de la bonne came fantastique.
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Le cauchemar d'Innsmouth (1931)
Une très bonne exploration de ville maudite. J'adore ça, les cités obscures, vieillottes, perdues au milieu de nulle part avec des habitants un poil dégénérés qui semblent cacher une antique dévotion aux ténèbres. Miam ! De plus, la plume de tonton Howard ne tombe pas dans ses vilains travers de « L'Affaire Charles Dexter Ward » ou des « Montagnes hallucinées »: pas de descriptions kilométriques qui vampirisent la narration mais un bel équilibre entre le passé d'Innsmouth conté de manière vivante par des personnages pour le moins loquaces et une action étonnamment intense. Après avoir installé une ambiance particulièrement délétère, Lovecraft surprend en effet avec une traque menée de main de maitre, digne des meilleurs thrillers horrifiques. Alors, n'hésitez plus: venez vous perdre dans les petites ruelles suffocantes, admirer le Récif du Diable et les églises dédiées au Culte de Dagon avant de venir trouver un repos, peut-être éternel, dans le charmant hôtel Gilman... Hahahahahaha !
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Critique de l'intégrale de Lovecraft: http://www.senscritique.com/livre/OEuvres_de_H_P_Lovecraft_tome_1/critique/7234570