Aperçu intéressant mais potentiellement frustrant de l'univers lovecraftien

Je me suis décidé à relire du Lovecraft, auteur dont j'avais lu la majorité des écrits durant ma jeunesse. N'en ayant pas de souvenirs extrêmement précis (ça remonte à très loin, et j'en ai tellement lu…), j'ai choisi ce recueil-ci car l'une des quatre nouvelles y figurant, " La Couleur tombée du ciel ", a été récemment adaptée au cinéma (je n'ai pas vu le film).
Mon appréciation de ce recueil est un peu mitigée : j'y ai trouvé de très bonnes choses, mais aussi des choses plutôt moyennes.


Le style de Lovecraft est très intéressant et, je crois, assez reconnaissable. Le point fort de l'auteur réside dans l'étonnante précision de ses descriptions des environnements et des actions des personnages. C'est assez cinématographique, car on visualise mentalement ce qui est écrit, comme si on était témoins de ce qui se passe. A ce titre, dans la nouvelle " Le Cauchemar d'Innsmouth " le passage décrivant comment le héros s'enfuit de l'hôtel est vraiment remarquable : on est à côté de lui, on visualise chaque détail, on partage sa peur et la force de son instinct de survie.


Cependant, cette précision de l'écriture a tendance à s'étioler aux moments des révélations horrifiques qu'attendent les lecteurs. Est-ce gênant ? Cela peut être frustrant, mais cela fait aussi partie de la manière d'écrire de Lovecraft, d'ailleurs parfois raillée pour ses " horreurs indicibles " et autres " abominations insoutenables ". On peut l'accepter sans problèmes si on est un peu habitué aux récits de l'auteur. Mais si on n'a jamais lu Lovecraft on peut trouver cela assez moyen, car on peut s'attendre à une description relativement précise des êtres monstrueux au centre des récits. Mais il faut bien voir que Lovecraft aime faire travailler l'imagination des lecteurs. C'est une très bonne chose, et la nouvelle " L'Abomination de Dunwich " montre un bon exemple de cette approche.


Dans cette nouvelle la créature monstrueuse qui est invoquée a la particularité d'être… invisible. Et pourtant on arrive à la visualiser partiellement : la description des empreintes et des dégâts causés par cette créature nous permet d'imaginer un début d'apparence, et quand elle est finalement aperçue durant un très court instant par à un personnage, cela permet à ce dernier d'en donner un embryon de description.


Cette tendance à la suggestion plutôt qu'à la description passe bien chez moi, mais il n'est pas impossible qu'un lecteur découvrant Lovecraft reste sur sa faim avec ce recueil-ci.
A vrai dire, dans ce recueil, les descriptions de créatures les plus précises ne sont pas très réussies. Je pense aux nouvelles " Celui qui chuchotait dans les ténèbres " et " Le Cauchemar d'Innsmouth ", et je préfère encore la quasi non-description de " L'Abomination de Dunwich ".


Ainsi, dans " Celui qui chuchotait dans les ténèbres ", nous pouvons lire une description anatomique des créatures extra-terrestres qui ont discrètement envahi le Vermont, et ceci dès le début de l'histoire. Mais je ne trouve pas ces créatures très effrayantes : des sortes de crabes avec des ailes. A la fin du " Cauchemar d'Innsmouth " le héros parvient à voir un défilé des créatures hybrides mi-humaines, mi-extra-terrestres qui ont envahi la localité. Mais je n'ai pas été convaincu, ces créatures ne m'ont pas paru assez étranges et inquiétantes : des hommes-poissons, et c'est à peu près tout.


Si la nouvelle " Celui qui chuchotait dans les ténèbres " est remarquable du fait de son mélange d'épouvante-horreur et de SF très réussi (notamment grâce à la description d'un dispositif technologique terrifiant et malsain), j'ai trouvé que globalement la qualité de ces nouvelles est inégale.
La nouvelle qui donne son titre au recueil, " La Couleur tombée du ciel ", est pour moi la moins intéressante. Elle a la particularité de ne pas évoquer de créatures monstrueuses (ce qui ne me dérange pas), et on peut la voir comme une sorte de prélude à la cosmogonie monstrueuse de Lovecraft. Très bien. Mais quand Lovecraft explique que l'émanation lumineuse a la particularité de ne pas être descriptible avec le vocabulaire humain, je trouve cela un peu facile. Mais après tout cela ne nuit pas à la lecture.
Par contre, la longueur de certains monologues de témoins de situations anormales, elle, nuit à la lecture (" L'Abomination de Dunwich ", " Le Cauchemar d'Innsmouth"). Et s'avère vraiment pénible. Le traducteur (j'ai lu l'édition Denoël de 1980) a semble-t-il essayé de retranscrire au plus près ce que Lovecraft écrit quand il fait parler des habitants ruraux décrits comme " dégénérés " (cette manière de présenter ce type de personnage est une des constantes désagréables chez Lovecraft) et qui donc s'expriment vraiment très mal… On doit alors supporter pendant plusieurs pages la lecture d'un texte quasiment illisible : de quoi donner l'envie au lecteur non familier de Lovecraft de refermer l'ouvrage.


Par ailleurs, hormis pour " La Couleur tombée du ciel ", j'ai remarqué que ces nouvelles sont construites selon la même structure. Ce qui peut être lassant. Pour schématiser : un homme de la ville arrive dans une région reculée pour raisons professionnelles ou personnelles ; il découvre par des témoignages d'habitants que des choses on ne peut plus bizarres se passent ici ; il enquête et découvre des éléments de plus en plus inquiétants ; il comprend avec horreur ce qu'il en est ; il se trouve confronté (plus ou moins) à l'horreur ; il s'enfuit. Cela peut s'expliquer par la construction du recueil : des nouvelles de 1927, 1928, 1931, qui n'ont pas été écrites les unes à la suite des autres. Mais dans ce cas-là il aurait été plus intéressant de varier les récits - j'ai le souvenir de nouvelles lovecraftiennes qui ne fonctionnent pas du tout selon cette structure dont je parle. On dirait un peu une visite guidée de ce qui peut nous attendre dans les récits de Lovecraft. Si c'est le but recherché, c'est d'ailleurs plutôt réussi, cela peut constituer une entrée en matière. Mais cela peut aussi induire en erreur le lecteur qui découvre Lovecraft, car il risque de penser que tous les récits de l'auteur sont ainsi construits.


Nous avons avec ce recueil un aperçu intéressant de ce que le reclus de Providence était capable d'écrire. Cela peut donner envie d'aller plus loin dans l'œuvre lovecraftienne. Ou pas. Car on risque d'osciller entre un intérêt profond, l'ennui et la déception (par rapport à l'immense réputation de Lovecraft et à son célèbre panthéon monstrueux). Je me souviens de recueils de nouvelles de Lovecraft au contenu plus varié et terrifiant. Je vais donc probablement en relire d'autres, que je noterai sûrement plus généreusement.

PaulDenton
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le 17 juin 2021

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