La fantaisie, oui, des trouvailles, oui, mais des redites aussi.
Stanislas Lem est un des auteurs de SF les plus originaux, mais je le préfère dans le registre sérieux que dans ses fantaisies, qui reposent toujours sur le même ressort : des savants-démiurges sont confrontés à un problème particulier et leurs efforts vont tourner court. Ici, c'est le duo de savants Trurl et Clapaucius, dont je n'ai pas bien compris s'ils n'étaient pas eux-mêmes des cyborgs...
Les histoires sont courtes, et ménagent souvent un regard critique sur la société, mais comme on le faisait au XVIIIe : certains passages me rappelaient le Voltaire de Zadig et son ironie à double effet kiss-cool. Lem donne libre court à son imagination débridée. Le choix de traduction a été de donner un tour vieillot, inspiré du Moyen Âge, au style, postulat qui j'imagine se justifiait, mais est parfois un peu lassant, tout comme la génération spontanée et continue de noms de peuples, savants, civilisations, à base de calembours. J'aime, mais il ne faut pas abuser des bonnes choses. Si les thématiques abordées sont toujours intéressantes, certaines histoires font un peu doublon avec certains des voyages d'Ijon Tichy. Et pourquoi le seul régime politique qui semble avoir court, dans toutes ces histoires, est-il une monarchie de conte de fées ?
Quelques charges contre le régime communiste, comme ce pays fier de sa surpopulation, dont les individus peuvent dessiner n'importe quels dessins par un effet de masse (allusion aux parades sportives du régime). Voir aussi la croisade 5bis.
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Et maintenant, pour mon seul usage personnel (ne vous sentez pas obligé de lire, ça spoile tout), un rapide panorama des différentes histoires.
- "Comment le monde échappa à la ruine" : Trurl construit une machine qui peut créer tout ce qui commence par la lettre N. Cette andouille de Clapaucius demande de faire le Néant.
- "La machine de Trurl" : Trurl construit une machine de 6 étages incapable de faire une addition correctement et susceptible, qui poursuit nos deux compères jusque dans une grotte et les oblige à reconnaître que 2+2 = 7.
- "La grande rossée" : Trurl envoie à Clapaucius une machine capable de construire n'importe quoi. Clapaucius demande et obtient un double de Trurl pour lui taper dessus. Le double s'enfuit, mais le lendemain, Trurl a des contusions qu'il justifie comme il peut.
Série des sept croisades
- Première croisade ou le piège de Gargancien : Chaque savant se met au service d'une puissance sur une planète divisée en deux pays ennemis. Les soldats sont mis en série grâce à des prises, mais quand les deux armées s'affrontent, tout le monde part gambader.
- Croisade 1 bis, l'électrouvère de Trurl : Simulant le monde depuis ses origines afin de créer une machine-poète, Trurl réussit mais est obligé de bazarder son invention sur un satellite. Trop dangereux.
- Seconde croisade ou l'offre du roi férotien : un potentat piège nos compères sur sa planète : ils ont une semaine pour créer une créature qu'il ne pourra pas tuer. Nos héros, après une simulation du combat sur papier (de vrais rôlistes), élaborent un plan très compliqué impliquant une bâche à clochettes, un monstre aux yeux lanceurs de rayons capable de se décomposer en trois policiers et un double détonateur dentaire.
- Troisième croisade ou le dragon des probabilités : Episode à la Scoubydou. Trurl, en amplifiant les probabilités que les dragons existent, en fait apparaître quelques-uns. Clapaucius vient en chasser un qui exige à un royaume des bijoux : en fait c'est Trurl qui télécommande une machine car le roi ne lui a pas payé ses frais.
- Quatrième croisade ou comment Trurl recourut au féminotron dans le but de délivrer le prince Pantarctique des tourments de l'amour et comment l'on en vint subséquemment à faire usage du lance-mômes : Chapitre aussi laborieux que son titre. Un prince est amoureux d'une princesse de l'empire ennemi. Trurl crée une sorte de poupée gonflable qui ne marche pas. Il inonde l'empire de gamins lancés par des canons jusqu'à ce qu'ils acceptent le mariage. Bof bof.
- Cinquième croisade ou les tours du roi Jambonnier : Variation sur l'échange de personnalités dans les corps, par le biais d'un casque porteur de corne qu'il ne faut pas cogner violemment. Un roi qui aime jouer à cache-cache sème la pagaille, mais cela se retourne contre lui.
- Croisade 5 bis ou la consultation de Trurl : Episode rédigé comme une comptine énervante et répétitive, mettant en scène le peuple des Chromocelles, dérangé par une entité inconnue. Trurl les en débarrase en créant une administration qui accable la chose de mises en garde et la fait rétrécir.
- SIxième croisade ou comment Trurl et Clapaucius conçurent un démon de seconde espèce afin de terrasser l'infâme Grandgueulier : Un démon se jette sur l'astronef de nos héros. Il collectionne les informations de toutes sortes. Nos héros créent un automate qui écrit sans relâche des masses d'information à partir de l'oscillation des atomes. Le démon finit emprisonné par les rubans de papier porteurs d'information.
- Septième croisade ou comment la perfection de Trurl fut à la source de bien des maux : Retour au thème du démiurge. Trurl, par prétentieux, crée une planète qui tient dans une boîte, et qu'utilise un potentat pour se consoler d'avoir été exilé de sa planète à cause de son comportement tyrannique. Clapaucius et Trurl ont une grave dispute à propos du libre arbitre dont disposent les éléments dans la boîte. Revenant voir la boîte, nos héros voient qu'elle a été brisée par le minipeuple.
- Histoire des trois machines à raconter du roi Genialain : Long chapitre de 100 pages difficile à résumer. Un roi en forme de sphère commande à Trurl trois machines à raconter des histoires (l'une développe la perspicacité, l'autre le divertissement et la troisième la science). Prétexte à une série de récits enchâssés dans lesquels je me suis perdu. Et pourtant je suis fan des mille et une nuits et de l'Heptaméron.
- L'altruizine ou l'histoire véridique de l'ermite Bonnas lequel voulut faire le bonheur de l'univers et de ce qui s'ensuivit : Un robot endommagé, Bonnas, arrive devant Trurl. Il raconte avoir rencontré Clapaucius, qui lui parle du peuple Esseruien, censé être arrivé au sommet de la rationalité. Il les cherche, les trouve, mais ces inactifs assez extravagants le congédient. Bonnas, qui voulait les voir pour trouver le secret d'une félicité universelle, tombe finalement sur un produit-miracle, l'altruizine, qui développe l'empathie. Il l'essaie sur une planète, mais comme chacun ressent la douleur (ou le plaisir !) des autres, le chaos se répand et les gens s'en prennent à Bonnas.