Un peu particulier, cet Agatha Christie, à tel point que, n'en gardant qu'un vague souvenir dans la tête et ayant oublié qu'il s'agissait d'un Agatha, je l'ai assimilé pendant des années à du Mary Higgins Clark (je n'en suis pas fière, par ailleurs). En le relisant, et en prenant conscience de mon erreur, j'ai compris pourquoi j'avais établi un tel amalgame.
Ce n'est pas la première fois qu'Agatha Christie met en scène un personnage en proie à son passé, qui lui reste obscur - encore que, souvent, il s'agisse plutôt d'aller enquêter sur le passé de proches parents. En revanche, Mary Higgins Clark - qui, ça va sans dire, écrit beaucoup moins bien qu'Agatha Christie - a plus ou moins fait de ce sujet son fonds de commerce, en le nappant invariablement d'une petite touche de glauque. La dernière énigme, c'est ça : un sujet à la Mary Higgins Clark, avec un côté glauque qu'on ne connaissait pas, ou peu, à Agatha Christie.
À travers l'histoire de Gwenda, qui emménage dans une maison d'un village anglais inconnu et découvre qu'elle la connaît déjà, Agatha Christie touche à plusieurs sujets : celui du surnaturel, même s'il sera évacué petit à petit, de l'enfance, des traumatismes oubliés, des désirs monstrueux et du mal. Ce qui n'est pas si nouveau, car le mal est tout de même sa grande affaire (combien de fois utilise-t-elle le mot anglais "evil" dans ses romans ?) Mais la double plongée dans le fantastique et l'univers de la psychanalyse fait toute la spécificité de ce roman.
C'est la première fois que l'auteure maîtrise ainsi la montée de l'angoisse, qui happe le lecteur aussi bien que l'héroïne, d'abord quand elle découvre que le papier peint dont elle souhaite habiller sa chambre est déjà présent, sous une autre couche de papier, puis lorsqu'elle s'aperçoit que les marches l'escalier qu'elle veut faire construire existent, elles aussi, camouflées sous un remblai de terre. Gwenda est-elle la proie d'un phénomène surnaturel ou devient-elle folle ? On est là dans la pleine lignée de la littérature fantastique. Et que peu à peu les souvenirs de Gwenda reviennent à la surface pour dévoiler un traumatisme ancien n'efface pas cette incursion dans le fantastique, mais l'amène à se métamorphoser. le papier peint et les escaliers, cachés puis révélant leur existence, sont bien évidemment la métaphore de cette remontée des souvenirs, de ce ce parcours obscur que devra suivre Gwenda. Difficile de faire plus directement allusion à la démarche psychanalytique...
En soulevant le papier peint de la chambre de Gwenda, c'est donc aussi une nouvelle Agatha Christie que l'on découvre ici : plus sombre, plus morbide, et peut-être aussi plus fine que d'habitude.